Actuellement, «baccalauréat» signifie pensée assistée

Hans-Peter Klein.
(Photo www.
prof-klein.eu)

Signification de l’étude PISA

Entretien avec le professeur Hans-Peter Klein*

(2 février 2024) Le professeur de biologie Hans-Peter Klein compte parmi les voix les plus profilées dans le débat allemand sur l’éducation. Dans un entretien avec Mathias Brodkorb,** il parle des résultats catastrophiques de l’étude PISA, des migrants peu instruits et de l’abolition du principe de performance.

Mathias Brodkorb
(Photo www.
roletschek.at)
Mathias Brodkorb: Monsieur Klein, les résultats de l’étude PISA ont été publiés récemment. Les performances des élèves allemands en mathématiques, en allemand et en sciences sont plus mauvaises que jamais. Comment évaluez-vous ces résultats?

Hans-Peter Klein: Ils sont manifestement catastrophiques. Il y a plus de 20 ans, il y a eu le choc PISA. L’Allemagne n’était alors qu’un pays très moyen. Après toutes les annonces politiques et les réformes des deux dernières décennies, force est de constater: tout cela n’a servi à rien, la situation a même empiré.

Les chercheurs de PISA font toutefois remarquer que les résultats sont également dus à la pandémie de la Covid. Les écoles ont été fermées pendant de nombreux mois, il n’y a pratiquement pas eu de cours. Il n’est donc pas surprenant que les résultats s’effondrent. Peut-on malgré tout conclure à une crise fondamentale de l’éducation à partir de ces données?

Bien sûr, la Covid a également eu une certaine influence. Mais ceux qui se contentent de cet argument cherchent des excuses. Le fait est que les performances des élèves allemands sont en forte baisse depuis 2015 et avant. La Covid n’a fait qu’accélérer cette tendance à la baisse. Oui, l’Allemagne traverse une crise de l’éducation massive. Et je ne vois pas comment cela pourrait changer dans un avenir prévisible.

Mais il n’y a pas eu que la Covid, il y a aussi eu la crise migratoire de 2015. C’est un autre facteur qui pourrait avoir une influence sur les performances des élèves. Moins il y a d’élèves qui parlent allemand dans une classe, plus le défi est grand pour les enseignants et moins les performances de pointe sont probables.

C’est vrai, mais cela ne réfute pas ma thèse selon laquelle le système éducatif allemand a atteint depuis belle lurette une pente glissante. La crise migratoire n’a commencé qu’en 2015 et pourtant, les résultats de performance de cette même année étaient déjà en baisse. Cette baisse des performances ne peut tout simplement pas être expliquée par la crise migratoire. Elle explique tout au plus pourquoi la situation s’est encore aggravée après 2015.

Et comment expliquez-vous cette tendance à la baisse?

Les causes sont complexes et il faut donc chercher loin. Il y a d’abord la Covid, bien sûr. Mais ce n’était qu’un événement ponctuel. On peut tout au plus en déduire à quel point la politique allemande s’est attaquée à sa propre progéniture en fermant des écoles de manière absurde. En comparaison internationale, il existe en tout cas des pays qui, malgré la crise de la Covid, n’ont pas connu une telle chute des performances.

Ensuite, il y a la pénurie d’enseignants. Elle ne fait que commencer et prendra encore une tout autre ampleur au cours de cette décennie. Actuellement, on embauche même des conducteurs de chars comme enseignants au niveau primaire.

Le troisième facteur est la crise migratoire. Il est clair que si, du jour au lendemain, un grand nombre d’élèves non germanophones affluent dans le système, cela ne reste pas sans conséquences. En même temps, le manque d’enseignants s’est extrêmement aggravé, surtout dans les écoles primaires.

Quatrièmement, et c’est le plus important à mes yeux: même si tous ces problèmes n’existaient pas, les écoles allemandes seraient tout de même sur la pente descendante. La raison n’a rien à voir avec l’argent, mais avec les concepts suivis depuis PISA 2000.

Examens du baccalauréat selon PISA. Même les élèves de 9e année
réussissent sans connaître la matière. (Photo mad)
Cela est irritant. En fait, c’est l’inverse: la première étude PISA a provoqué un choc politique suivi de réformes de l’enseignement. Et ces innovations auraient maintenant provoqué un déclin?

Même si personne ne veut l’entendre, c’est exactement ce qui s’est passé. Mais là encore, c’est un peu plus compliqué. PISA est un format de test international de l’OCDE. Et c’est là que le bât blesse. Vous ne pouvez pas comparer le Mexique, l’Algérie et l’Allemagne sans tenir compte des contenus concrets. Cela n’aurait aucun sens, par exemple, de poser des questions sur Theodor Fontane dans le monde entier. Les élèves allemands seraient alors avantagés et la comparaison internationale serait sans valeur.

La solution à ce problème de théorie des tests est l’orientation vers les compétences. La plupart des tests ne demandent donc pas de connaissances. Les élèves reçoivent à la place des textes faciles à comprendre, qui contiennent déjà toutes les réponses aux questions posées. Les élèves n’ont rien d’autre à faire que de lire en extrayant le sens. Et puis, il y a encore une deuxième chose: étant donné que l’évaluation de textes complexes serait trop compliquée, PISA consiste surtout en des exercices à cocher. Les feuilles de réponse peuvent ensuite être traitées sans problème par des ordinateurs via des scanners.

Comme dans l’émission télévisée «Qui sera le millionnaire»?

Les élèves reçoivent donc un texte qui contient déjà toutes les informations nécessaires pour résoudre les problèmes posés. Ils le lisent et cochent ensuite les bonnes réponses. Imaginez que vous jouez à «Qui sera le millionnaire?» de Günther Jauch sur RTL – sauf que vous pouvez lire une feuille de papier qui contient déjà toutes les réponses aux questions posées.

Même si vous n’avez aucune idée de la bonne réponse, vous avez tout de même 25% de chances d’avoir raison si vous donnez quatre réponses. Et avec un peu de chance, vous pouvez reconnaître les mauvaises réponses comme étant fausses, même si vous ne connaissez pas la bonne réponse. C’est exactement cela, l’«orientation vers les compétences», c’est exactement cela, PISA.

Autrefois, on considérait comme compétent celui qui comprenait quelque chose à un sujet. Aujourd’hui, on considère comme compétent celui qui parvient à se débrouiller malgré son manque de connaissances. Et tout cela, nous le devons à PISA. Et aux politiques qui ne savent même pas ce qu’ils font.

Un instant: ce que vous dites sur les formats de test PISA ne se réfère tout d’abord qu’à un design d’enquête méthodique. Il n’est pas nécessaire d’en faire un concept d’enseignement.

C’est vrai, mais c’est quand même ce qui s’est passé ces 20 dernières années. Pas même les collaborateurs des ministères comprennent cette différence. Et les enseignants dans les écoles n’ont de toute façon pas le temps de s’en occuper. PISA a donc développé un modèle de formation totalement rudimentaire. PISA ne teste pas l’enseignement et les connaissances, mais uniquement les étapes préliminaires. Cela s’explique par des raisons financières et d’économie de test. Mais dans les ministères et les écoles, cela a ensuite été interprété comme un modèle d’éducation moderne et est pratiqué depuis deux décennies dans nos écoles. On peut admirer les résultats dans l’étude PISA actuelle.

Pouvez-vous aussi en donner un exemple concret?

Naturellement. Nous avons fait passer un examen de biologie du baccalauréat en Rhénanie-du-Nord-Westphalie à une classe de 9e. Le résultat m’a surpris moi aussi: sur 27 élèves, seuls quatre ont échoué. Quatorze ont obtenu une mention «suffisant», cinq une mention «assez bien», trois une mention «bien» et un élève a même obtenu une mention «très bien». Encore une fois, il s’agissait d’élèves de 9e année qui ne s’étaient absolument pas préparés à cet examen du baccalauréat et qui ne pouvaient pas encore disposer des connaissances nécessaires. Il n’était donc nullement nécessaire d’avoir des connaissances spécifiques. Il suffisait de lire des textes, de les comprendre et de faire preuve d’un peu de déduction.

Auparavant, ces compétences étaient celles d’un bon ou d’un moyen collégien. Ce n ’est d’ailleurs pas pour rien que les universités proposent aujourd’hui de plus en plus de cours de soutien aux étudiants débutants. Disons simplement les choses telles qu’elles sont: autrefois, le baccalauréat allemand inventé par Wilhelm von Humboldt était un gage de qualité. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas.

N’est-ce pas un peu exagéré? N’est-il pas possible que ce que vous décrivez ne soient que des difficultés de démarrage lors de la mise en œuvre de l’idée de PISA?

J’en serais très heureux. Mais ce n’est pas le cas. La situation n’est pas meilleure dans les épreuves actuelles du baccalauréat. Il y a par exemple un exercice à résoudre sur les moules et les huîtres du Pacifique immigrées en Europe. Je ne veux pas vous ennuyer avec cela, mais cela suit le même modèle: un long texte dans lequel toutes les réponses sont déjà données. Doutant de l’exactitude technique du texte, j’ai soumis cet exercice à un collègue de l’Institut Alfred Wegener de Sylt pour qu’il l’évalue. Son jugement a été accablant. Pas même les faits contenus dans le texte de l’exercice étaient exacts.

Lorsque j’ai rendu l’exercice public dans une interview publiée dans le «Süddeutsche Zeitung», un collaborateur du ministère m’a appelé et m’a dit à peu près ceci: «Monsieur Klein, vous n’avez toujours pas compris l’orientation vers les compétences. Pour nous, il ne s’agit pas de connaissances spécialisées, mais de l’utilisation des connaissances.» Cela signifie que les bacheliers de demain n’auront plus besoin de savoir quoi que ce soit, mais devront uniquement travailler avec les connaissances d’autrui. Aujourd’hui, «baccalauréat» signifie quelque chose comme «pensée assistée».

En supposant que vous ayez raison, quelles propositions feriez-vous aux responsables politiques de l’éducation en Allemagne?

Je suis assez gêné de le dire, mais je pense que c’est quand même nécessaire: le cœur de l’éducation, ce sont les connaissances factuelles. La véritable compétence, c’est la maîtrise des faits et des méthodes d’une matière. Au lieu de cela, les objectifs des «wokistes» se résument à l’abolition du principe de performance. Selon leur mantra, la performance est soi-disant discriminatoire, voire raciste, car elle exclut quiconque ne veut ou ne peut pas être performant. L’égalité pour tous n’existe toutefois qu’au niveau le plus bas. Les exigences spécifiques doivent au contraire être claires et élevées. C’est la seule façon d’obtenir un niveau de performance adéquat.

Il faut des enseignants qualifiés et en nombre suffisant

Le manque d’enseignants est le deuxième point que la politique doit résoudre. Sans enseignants qualifiés, rien n’est possible. Finissons-en avec le bricolage pédagogique et concentrons-nous sur le cœur de métier qu’est l’enseignement. Aussi amusants que puissent être les groupes de travail d’élèves divers et intersectionnels, la situation est trop grave pour que nous puissions encore nous permettre de tels caprices.

Et troisièmement, même si certains sauveurs du monde n’aiment pas l’entendre: si l’afflux non régulé de migrants peu instruits n’est pas stoppé rapidement, le système éducatif allemand et, plus tard, l’économie allemande s’effondreront. L’école ne peut pas être le centre de réparation des mauvaises décisions politiques. Elle ne doit pas non plus être utilisée comme décharge pour une politique migratoire erronée. Les victimes de cette évolution sont les enseignants et les enfants issus de milieux socialement défavorisés. Leurs parents n’ont tout simplement pas les moyens de payer des écoles privées.

* Hans-Peter Klein, né en 1951, est biologiste et a enseigné de 1977 à 2001 en tant que professeur de lycée en Rhénanie du Nord-Westphalie. De 2001 à 2018, il a enseigné la didactique des sciences de la vie à l’Université Johann Wolfgang Goethe de Francfort-sur-le-Main.
** Mathias Brodkorb, né en 1977, est un homme politique allemand du SPD et journaliste. Il a été pendant plusieurs années ministre de la Culture puis ministre des Finances du Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale.

Source: https://www.cicero.de/innenpolitik/ergebnisse-der-pisa-studie-heute-bedeutet-abitur-betreutes-denken, 17 décembre 2023

(Reproduction avec l’aimable autorisation de la rédaction)

(Traduction «Point de vue Suisse»)_

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