En Ukraine, les Etats-Unis renforcent l’héritage barbare des bombes à sous-munitions
Elle a trouvé un étrange morceau de métal. L'explosion de la pièce a tué son frère
et lui a arraché la jambe gauche. (Photo © S.Khlaifat/Handicap)
Les armes à sous-munitions américaines ont mutilé et tué des civils, notamment au Laos, au Vietnam, au Cambodge, en Afghanistan et en Irak
par Abdul Rahman,* Inde
(8 août 2023) (Réd. CH-S) La livraison d’armes à sous-munitions par les Etats-Unis à l’Ukraine est une catastrophe humanitaire. Ces armes sont utilisées au détriment de la population civile. L’article suivant d’Abdul Rahman examine plus en détail les circonstances entourant la livraison d’armes à sous-munitions par les Etats-Unis à l’Ukraine.
Quelques mots sur la politique étrangère actuelle de la Suisse: en tant que conseillère fédérale, Micheline Calmy-Rey s’est beaucoup engagée en faveur de l’interdiction internationale des armes à sous-munitions. Aujourd’hui, 118 Etats ont ratifié la «Convention d’Oslo de 2008», dont la Suisse. Les contribuables suisses financent le «Centre international de déminage humanitaire de Genève» (CIDHG), fidèle à la tradition humanitaire de la Suisse.
Bien que le conseiller fédéral Ignazio Cassis ait déclaré, avant de rejoindre le Conseil de sécurité de l’ONU, que «si nous siégeons au Conseil de sécurité, nous aurons des possibilités supplémentaires d’action et d’influence pour nos préoccupations»,1 la représentation suisse est restée silencieuse jusqu’à présent. L’ancienne conseillère fédérale Calmy-Rey a commenté ce silence assourdissant: «J’attends de mon pays, berceau de la Croix-Rouge, qui a placé le respect des droits de l’homme et de la vie humaine au centre de sa politique étrangère, qu’il prenne une position critique et claire sur le déploiement de telles armes sur le champ de bataille ukrainien.»2
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La triste boutade selon laquelle «l’OTAN se bat contre la Russie jusqu’au dernier Ukrainien» s’est une fois de plus avérée pertinente lorsque le président américain Joe Biden a pris la décision «difficile», au début du mois de juillet, de fournir des armes à sous-munitions à l’Ukraine afin de faciliter sa lutte contre les Russes.
La fourniture d’armes à sous-munitions fait partie d’un nouveau programme d’aide militaire de 800 millions de dollars à l’Ukraine,3 qui est intervenu à la veille du sommet de l’OTAN à Vilnius, en Lituanie, auquel assistait le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
La dangerosité des armes à sous-munitions, en particulier pour les civils, est bien connue. Près de 120 pays4 ont signé en 2008 une convention contre leur production et leur utilisation.
Dans le cas présent, la décision est, pour les Ukrainiens, plus dangereuse encore pour deux raisons spécifiques: premièrement, elle fournit aux Russes la justification d'une riposte avec des moyens bien supérieures, et deuxièmement, les champs de bataille, où les munitions seront utilisées, se trouvent principalement en Ukraine.
Helen Caldicott: les bombes à sous-munitions sont les armes les plus atroces
«Les bombes à sous-munitions sont, à l’exception des armes à l’uranium appauvri, des armes qui provoquent des cancers, des anomalies génétiques et des malformations congénitales pour le reste de la population exposée», a déclaré à Sputnik le Dr Helen Caldicott, fondatrice de «Physicians for Social Responsibility», organisation lauréate du prix Nobel de la Paix.
Ces armes ont été expressément conçues pour causer sans discrimination des pertes en vies humaines et des blessures atroces sur une vaste zone, sans tenir compte de la personne ou de l’objet visé, a expliqué Mme Caldicott. Ces sous-munitions, a-t-elle ajouté, peuvent être de couleur jaune et avoir la forme d’une canette de boisson gazeuse, ce qui les rend attrayantes pour les enfants. Source: https://t.me/geopolitics_live/2205, 18 juillet 2023
Impact à long terme
Une arme à sous-munitions5 est une bombe contenant plusieurs sous-munitions. Elles sont larguées depuis les airs ou tirées depuis le sol et explosent en plein vol pour libérer des dizaines, voire des centaines, de sous-munitions qui se répandent sur une surface équivalente à plusieurs terrains de football, sans distinction entre les zones militaires et les zones civiles.
Les sous-munitions explosent à l’impact au sol. Cependant, une grande partie d’entre elles n’explosent pas en raison de la manière dont elles tombent et constituent alors un danger similaire aux mines terrestres, explosant parfois des jours ou des années après leur largage initial.
Compte tenu des taux élevés de ratés – entre 2 et 40% – il est très probable que le vainqueur de la guerre aura une tâche herculéenne pour éliminer les munitions non explosées afin d’éviter un grand nombre de victimes civiles dues à des explosions accidentelles.
Les exemples du Laos et du Cambodge le montrent bien. Les Etats-Unis ont largué près de 20 millions de tonnes6 de bombes au Laos, dont 2 millions de tonnes d’armes à sous-munitions, parmi lesquelles environ 30% n’ont pas explosé.
Au Laos, au moins 20 000 personnes, dont la moitié étaient des enfants, sont mortes ou ont été blessées depuis 1975 à la suite d’explosions provoquées par des bombes non explosées larguées par les Etats-Unis. L’élimination des bombes à sous-munitions non explosées est plus problématique encore, car elles sont relativement difficiles à localiser.
Encore un demi-tour
La décision de fournir des armes à sous-munitions constitue un nouveau revirement dans la politique ukrainienne de l’administration Biden, qui avait exprimé des doutes quelques mois auparavant, affirmant que ces armes étaient trop dangereuses.
Il s’agit désormais d’un schéma classique pour cette administration: d’abord refuser une arme cruciale en invoquant le risque d’une escalade dangereuse avec la Russie, puis procéder à la livraison ou demander aux alliés disposant du même système d'armes de le faire.
Les Etats-Unis et d’autres membres de l’OTAN ont suivi ce modèle pour la fourniture à l’Ukraine de systèmes de défense antimissile Patriot, de lance-roquettes HIMARS, de chars de combat et d’avions de chasse.
Le 13 juillet, la Chambre des représentants des Etats-Unis a rejeté un amendement visant à interdire le transfert de bombes à sous-munitions à l’Ukraine.7
Interrogé par des journalistes sur les raisons pour lesquelles la décision d’envoyer des bombes à sous-munitions avait finalement été approuvée, Joe Biden a mentionné en passant que l’Ukraine était à court de munitions conventionnelles. Cela s’est passé au milieu de la dite contre-offensive ukrainienne, saluée par l’OTAN et les médias occidentaux.
Les Etats-Unis sont, de loin, le plus grand utilisateur d’armes à sous-munitions au monde. Ils ont utilisé ces armes sans discrimination au Viêt Nam, au Laos, au Cambodge, en Afghanistan et en Irak. Israël, proche allié des Etats-Unis, a utilisé de telles bombes au Liban en 2006.
Il est significatif que l’utilisation des bombes à sous-munitions en Irak et en Afghanistan ait eu lieu des années après que les effets négatifs de leur utilisation au Laos et au Cambodge soient devenus évidents et que le monde ait déjà discuté d'une convention pour les interdire.
Victimes civiles
Des rapports font déjà état de l’utilisation généralisée par l’Ukraine de bombes à sous-munitions8 contre les Russes dans le cadre de la guerre actuelle. Des bombes à sous-munitions auraient également été utilisées par l’Ukraine contre ses propres citoyens9 lors des phases initiales de la résistance dans le Donbass en 2014.
Cependant, suite à un tollé dans les médias, l’Ukraine a déclaré qu’elle n’utiliserait pas les bombes10 reçues des Etats-Unis en Russie, ce qui signifie qu’elles seront utilisées dans les régions ukrainiennes contrôlées par les Russes.
De toute façon, l’Ukraine n’a qu’une capacité limitée,11 voire inexistante, de larguer des bombes à l’intérieur des territoires russes.
Tout en affirmant que la Russie s’est délibérément abstenue jusqu’à présent d’utiliser des armes à sous-munitions en Ukraine compte tenu de la menace pour la population civile, le ministre russe de la Défense, Sergei Shoigu, a récemment déclaré12 que «si les Etats-Unis fournissent des armes à sous-munitions à l’Ukraine, les forces armées russes seront obligées d’utiliser des moyens de destruction similaires contre les forces armées ukrainiennes en guise de représailles.» (Human Rights Watch a déclaré en mai13 que la Russie avait déjà utilisé des bombes à sous-munitions, tout comme l’Ukraine).
Grâce à l’administration Biden, les populations civiles du Donbass ou de Crimée vont peut-être devoir faire face à l’impact de la guerre actuelle pendant des générations.
| * Abdul Rahman travaille actuellement comme rédacteur pour Peoples Dispatch. Il a enseigné les sciences politiques et les relations internationales pendant près de huit ans dans diverses universités en Inde, y compris l’Université de Delhi et l’Institut Tata des sciences sociales, avant de rejoindre Peoples Dispatch en 2019. Il est titulaire d’un doctorat en politique de l’Asie occidentale de l’Université Jawaharlal Nehru de New Delhi. |
Source: https://peoplesdispatch.org/2023/07/14/us-cluster-munitions-supply-to-ukraine-will-harm-civilians-the-most/, 18 juillet 2023
(Traduction «Point de vue Suisse»)
1 Hubert Mooser dans: Weltwoche n° 28 du 13 juillet 2023
2 Calmy-Rey cité dans: Marcel Odermatt. Das Erwachen der Tauben. Weltwoche n° 29 du 20 juillet 2023
4 https://treaties.unoda.org/t/cluster_munitions
5 http://www.stopclustermunitions.org/en-gb/cluster-bombs/what-is-a-cluster-bomb.aspx
6 https://asia.nikkei.com/Economy/Laos-struggles-with-unexploded-bombs-50-years-after-Paris-Accords
7 https://thegrayzone.com/2023/07/14/amendment-to-block-cluster-bomb-ukraine/
8 https://www.hrw.org/news/2023/07/06/ukraine-civilian-deaths-cluster-munitions
9 https://www.hrw.org/news/2014/10/20/ukraine-widespread-use-cluster-munitions
12 https://tass.com/world/1645471
13 https://www.hrw.org/news/2023/05/29/cluster-munition-use-russia-ukraine-war