Réforme de l’OMS

«L’OMS a attisé les craintes de la population»

Pietro Vernazza.
(Photo mad)

Entretien avec Pietro Vernazza* réalisé par Peter Kuster**

(14 décembre 2023) Pour l’infectiologue Pietro Vernazza, il est crucial que la Suisse puisse continuer à mener une politique de santé autonome et basée sur des preuves lors de crises futures. L’accord prévu avec l’OMS sur les pandémies ne doit pas limiter notre pays dans ce domaine.

Monsieur Vernazza, pendant la crise de la Covid, vous n’avez cessé de souligner, l’importance de poser des questions, même en public, et de ne pas simplement accepter les «vérités scientifiques». A l’époque, vous faisiez vous-même partie de ces «fauteurs de troubles». Etiez-vous trop critique d’un point de vue actuel?

Non, au contraire, j’aurais dû insister et creuser encore plus. J’ai toujours essayé de comprendre la pandémie et de commenter mes découvertes. Ainsi, dès le printemps 2020, j’ai souligné que 90% des infections étaient légères ou ne présentaient aucun symptôme et que les stratégies zéro-covid n’étaient donc pas judicieuses – et j’avais raison.

Un autre exemple est la vitamine D, qui permet de renforcer le système immunitaire inné de manière simple, peu coûteuse, efficace et en grande partie sans effets secondaires – et pas seulement contre la Covid. Ce fait est largement connu de certains infectiologues, mais n’a pas été suffisamment rendu public. Des études concluent que la distribution de vitamine D à des groupes de population âgés aux Etats-Unis aurait permis d’éviter 120 000 décès. Toutefois, je n’ai pas non plus toujours pu me faire entendre dans les médias …

... mais vous y étiez tout de même assez présent.

Je sais de source interne que les collaborateurs de certains journaux ou de la Radio-Télévision Suisse (RTS) n’avaient plus le droit de me citer.

Est-ce parce qu’en tant que critique des mesures, vous étiez considéré comme faisant partie du camp des personnes qui doutent fondamentalement de la médecine conventionnelle et des vaccins?

J’ai travaillé toute ma vie professionnelle sur les vaccins, j’ai fait des recherches sur les vaccins, j’ai motivé des gens à se faire vacciner et je suis donc tout sauf un sceptique en matière de vaccination. Mais même si les vaccins sont importants, on peut et on doit avoir le droit de poser des questions critiques. Lors de la pandémie, j’ai été hypostasié par certaines personnes qui ont sorti mes déclarations de leur contexte et les ont instrumentalisées à leurs fins. Je me suis clairement démarqué de ce camp.

Vous avez également critiqué à l’époque le fait que la Suisse s’inspirait fortement des mesures prises à l’étranger pour sa politique en matière de pandémie. Cette coordination n’était-elle pas judicieuse, car le virus, comme chacun le sait, ne connait pas les frontières nationales?

Ce qui est décisif, c’est de savoir si l’on adopte des mesures étrangères pour de bonnes raisons. La Suède avait des arguments bien fondés pour sa voie spéciale libérale, et le bilan est désormais meilleur que dans de nombreux autres pays, y compris la Suisse. Nous aurions dû être plus ouverts et nous laisser davantage guider par l’évidence dans nos mesures. Un exemple: en mai 2020, un groupe d’infectiologues, dont je faisais partie, a recommandé à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) – en se basant sur les résultats d’études – de réduire la durée d’isolement de 10 jours à 5 jours maximum ou jusqu’à la disparition des symptômes. L’OFSP partageait notre évaluation sur le fond, mais ne voulait pas s’écarter de la pratique en vigueur à l’étranger. En automne 2020, j’ai exposé ma position au conseiller fédéral Alain Berset, l’un de ses conseillers a ensuite fait la remarque suivante: «Beaucoup de ce que vous dites est scientifiquement juste, mais il serait bon que vous ne le diffusiez pas dans les médias.»

Deux chercheurs ont récemment reçu le prix Nobel de médecine pour leur contribution au développement de vaccins à ARNm contre la Covid-19. Quelle a été l’importance et l’efficacité de la vaccination dans la gestion de la crise?

Contrairement aux vaccins classiques, le vaccin Covid n’est pas un «vaccin stérilisant.» Il n’empêche ni la contagion ni la transmission, mais réduit surtout le risque d’évolutions graves. L’effet pertinent est la réponse immunitaire cellulaire qui protège contre une infection chronique. Le premier contact avec le vaccin entraîne dans le système immunitaire, comme d’ailleurs toute infection, une réponse des lymphocytes T qui stockent cette information toute la vie et restent efficaces même si la surface du virus est modifiée. Un «rappel» répété par une nouvelle vaccination n’est pas nécessaire. Lors de l’épidémie de grippe porcine de 2009, nous avons par exemple constaté que les personnes nées avant 1956 n’étaient que légèrement malades. Ces personnes avaient «vu» un virus similaire dans leur jeunesse, et le système immunitaire offrait encore une bonne protection 60 ans plus tard.

Comment jugez-vous la sécurité du vaccin Covid et ses effets secondaires?

Il n’existe pas de médicament sans effets secondaires, même s’il s’agit d’une préparation purement végétale. Cela vaut également pour les vaccins. En fin de compte, il convient de peser les avantages et les inconvénients de chaque vaccination. Mais par rapport à d’autres vaccins contre la grippe, de nombreux incidents d’effets secondaires vaccinaux ont été signalés avec celui contre la Covid. Je ne peux donc recommander en toute bonne conscience à personne de suivre la recommandation actuelle de l’OFSP concernant les boosters. Pratiquement tout le monde a déjà eu la maladie. Le booster n’apporte guère d’avantage et affaiblit éventuellement le système immunitaire inné; Swissmedic observe par exemple une augmentation de la fréquence du zona après la vaccination.

Le débat sur le vaccin Covid a-t-il nui à la réputation du moyen médical qu’est la vaccination en général?

Je crains effectivement que cela ne se produise encore. Le comportement de nombreux médecins suisses y contribue également. Lorsqu’ils reçoivent des plaintes, ils disent à leurs patients qu’il ne peut pas s’agir d’effets secondaires du vaccin et s’abstiennent donc de les déclarer à l’OFSP, bien qu’ils y soient obligés. Résultat: chez nous, on déclare dix fois moins d’effets secondaires qu’aux Pays-Bas par exemple. Si nous voulons à nouveau renforcer la réputation de la vaccination à long terme, nous devons être plus attentifs aux faits.

Lors de la crise de la Covid, vous vous êtes prononcé contre la pression de l’Etat sur les personnes non vaccinées, contre l’exclusion de la vie sociale ou contre la médecine à deux vitesses envisagée. Mais ne pourrait-il pas y avoir des cas où une pression allant jusqu’à l’obligation de se faire vacciner pourrait être utile sur le plan médical?

Il était erroné et irresponsable de pousser les jeunes à se faire vacciner avec un risque minimal de maladie grave. Une vaccination obligatoire pourrait être utile si elle permettait d’éradiquer un virus dangereux, c’est-à-dire si la vaccination protégeait de l’infection et de la transmission. Mais ce n’est jamais le cas pour les virus de la grippe et du coronavirus.

Comment êtes-vous entré en contact avec l’«Organisation mondiale de la santé» (OMS) au cours de votre carrière professionnelle?

J’ai collaboré avec l’OMS dans différents groupes d’experts, surtout dans le cadre de l’épidémie de VIH/sida qui a sévi dans les années 1980. Une étape importante a été la déclaration Swiss Statement en 2008, dans laquelle nous avons établi que les personnes infectées qui suivent un traitement ne sont plus contagieuses. Les discussions étaient toujours ouvertes et stimulantes. Toutefois, même à l’époque, les connaissances scientifiques seules n’étaient pas toujours déterminantes. Lorsque j’ai justifié par des données une évidence qui s’écartait du courant dominant – il s’agissait de savoir si le risque était vraiment beaucoup plus élevé lors de rapports anaux que lors de rapports vaginaux –, on s’est certes montré d’accord sur le fond, mais l’OMS n’a pas voulu modifier ses déclarations à ce sujet, car elle les avait maintenues pendant plus de vingt ans.

La pandémie a-t-elle changé votre image de l’OMS?

Pendant la pandémie, je n’ai plus eu de contact direct. Mais l’OMS a attisé les craintes de la population en exagérant la dangerosité du virus – même selon l’état des connaissances de l’époque – et en insistant encore et toujours sur ce point. Je ne comprends pas les raisons de cette attitude.

Une approche globale de la lutte contre une pandémie mondiale est toutefois souhaitable, non?

Sans aucun doute. Un exemple positif est à nouveau l’épidémie de VIH, pour laquelle l’OMS a largement contribué à la lutte pendant des décennies. Elle a notamment fait en sorte que les pays pauvres puissent eux aussi se payer des traitements, ce qui a permis de réduire le risque de sida dans le monde entier. Dans des pays comme la Russie, qui ont refusé de coopérer, la situation est encore bien pire aujourd’hui. Dans le cas de la Covid, cependant, des mesures radicales ont été mises en œuvre très rapidement et globalement sous la pression de l’OMS, sans base empirique suffisante. Il faut toujours être prudent lorsque peu de gens pensent connaître la vérité.

L’OMS, qui veut conclure un nouvel accord et réviser le «Règlement sanitaire international» sur la base de l’expérience de la pandémie, va-t-elle aujourd’hui dans la bonne direction?

Les dispositions du traité ne sont pas toujours compréhensibles et il n’est pas clair de savoir ce qui devrait être repris de manière contraignante. Une décision aussi lourde de conséquences pour notre pays ne doit pas passer en douce par voie d’ordonnance. La population suisse doit savoir exactement à quoi elle s’engage et avoir le dernier mot.

En tant que membre fondateur de l’OMS, pays d’accueil et bastion de l’industrie pharmaceutique, la Suisse peut-elle se permettre de ne pas signer cet accord?

Nous devons continuer à avoir la liberté d’agir de manière indépendante et fondée sur des preuves, ce qui n’a malheureusement pas été le cas dans de nombreux domaines lors de la pandémie de la Covid. La définition du terme «fondé sur des preuves» est bien sûr décisive. Je viens de me faire houspiller par des soi-disant vérificateurs de faits à cause d’une déclaration sur le système immunitaire inné. Je n’ai fait que constater que la vaccination inhibe le système immunitaire inné et que, par conséquent, les zona peuvent se multiplier. Je ne peux pas prouver cette affirmation, mais les évidences sont accablantes. Il faut pouvoir en parler. Je m’inquiète déjà un peu de ce que l’on pourrait entendre à l’avenir par «basé sur les évidences» en médecine et en politique de la santé.

Les critiques accusent l’industrie pharmaceutique d’instrumentaliser l’OMS pour s’assurer des bénéfices élevés à long terme. En tant que médecin, comment avez-vous vécu les pratiques commerciales de l’industrie pharmaceutique?

Avec le VIH, j’ai compris que l’industrie pharmaceutique ne poursuit pas seulement le bien-être des gens, mais aussi ses propres intérêts. C’est leur droit le plus strict, mais de nombreux médecins ne sont pas conscients des forts conflits d’intérêts. Des études montrent que même avec de petits «investissements» dans les médecins, l’industrie pharmaceutique peut influencer considérablement leur comportement. L’industrie procède de manière très intelligente et dirige également les organisations de patients.

Dans la perspective de la prochaine pandémie, quelles précautions l’OMS et la Suisse devraient-elles prendre dès aujourd’hui?

L’OMS devrait maintenir et développer son excellent système international de surveillance des maladies infectieuses. La Suisse devrait d’abord faire analyser la crise de la Covid de manière indépendante, puis créer un comité qui pourra à l’avenir évaluer les mesures de manière interdisciplinaire et fondée sur des preuves et émettre des recommandations appropriées.

Une task force 2.0?

Non. Daniel Koch, l’ancien chef de division de l’OFSP, a qualifié à juste titre la Taskforce de «Groupe de personnes qui s’est constitué lui-même.» Une telle sélection se moque des principes démocratiques et, de ce fait, peu d’esprits critiques ont été intégrés.

* Pietro Vernazza, né en 1956, était jusqu'à son départ à la retraite en 2021 médecin-chef de la clinique d'infectiologie et d'hygiène hospitalière de l'hôpital cantonal de Saint-Gall, où il travaillait depuis 1985. Il s'est spécialisé dans l'infectiologie à l'hôpital cantonal de Saint-Gall et y a mis en place en 1985 une consultation pour les personnes séropositives. De 1991 à 1993, il a suivi une formation continue à l'Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, aux États-Unis. En 2022, il a rédigé avec d'autres auteurs le livre «Der Corona Elefant», destiné à relancer le débat critique et constructif. Ses contributions sont également disponibles sur corona-elefant.ch.
** Peter Kuster, né en 1968, a étudié les sciences politiques à la HSG. Il a travaillé pendant plus de 14 ans pour le journal «Finanz und Wirtschaft», où, en tant que chef de rubrique, il s’est intéressé de près aux événements sur les marchés financiers, à la conjoncture ainsi qu’à la politique économique. Il a ensuite travaillé dix ans au service de communication de la Banque nationale suisse, où il a contribué à faire connaître la politique monétaire au public. Depuis juin 2022, il travaille comme rédacteur politique et économique pour le «Schweizer Monat».

Source: «Schweizer Monat», Sonderpublikation,p. 25–29, novembre 2023
(Reproduction avec l’aimable autorisation de la rédaction)

(Traduction «Point de vue Suisse»)

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