Résultats PISA

La chute de la Finlande est un appel au réveil pour la politique suisse de l’éducation

Carl Bossard
(Photo mad)

par Carl Bossard,* Suisse

(18 janvier 2024) «Peut-on acheter des écoles finlandaises?» C’est ce qu’aurait demandé un expert en éducation du Proche-Orient. Après la première étude PISA, il s’est lui aussi rendu en pèlerinage dans le pays promis aux meilleures écoles du monde – avec une intention de copier-coller. Ces voyages éducatifs ont été rendus possibles par les classements PISA.

Le «Programme international pour le suivi des acquis des élèves» (PISA) compare les compétences des élèves de 15 ans en compréhension de l’écrit, en culture mathématique et en culture scientifique. Les résultats sont enregistrés à l’aide d’une échelle de points et répartis en niveaux de compétence.

Ecart entre les prévisions et la réalité

La première étude mondiale sur l’éducation, réalisée en 2000, plaçait la Finlande en tête du classement mondial. Tout comme ses skieurs de fond, ses élèves ont atteint une renommée mondiale. Les succès finlandais de PISA ont rapidement éveillé l’intérêt international. Le tourisme éducatif a explosé. Le mythe finlandais m’a moi-même attiré comme un aimant. Je me suis rendu à la Mecque de la réussite éducative.

Mais dans le Grand Nord, je n’ai pas vécu ce que j’avais appris en Suisse et je n’ai pas vu ce que les spécialistes prêchaient et postulaient: des enseignants qui se considèrent comme facilitateurs sans transmettre un savoir aux élèves, des enseignantes qui animent des travaux de groupe sans dispenser de connaissances, des enseignants qui organisent l’apprentissage autorégulé sans introduction collective au thème. Pas de trace d’apprentissage sans recours à un professeur, pas de signe d’enseignement individualisé et de plans hebdomadaires.

Dans toutes les écoles que j’ai visitées, j’ai rencontré le contraire, à savoir un enseignement dirigé et commun en classe – structuré et divisé en petites parties, aéré par des questions et des parties de discussion, mais mené avec rigueur. Ces cours étaient suivis d’exercices communs, avec des tâches précises et des feedbacks favorisant l’apprentissage. Des assistantes ont soutenu les enfants et ont fait des exercices avec eux. Détendu dans le ton, intense dans l’action: une alternance sans distraction. Personne n’était livré à lui-même.

L’efficacité de l’«instruction directe» est tangible

Est-ce là le secret de la Finlande et l’explication de sa position de pointe? C’est la question que je me suis posée en rentrant du lieu de pèlerinage. En tant qu’observateur attentif, j’ai découvert une grande partie de ce que le chercheur en éducation néo-zélandais John Hattie définit dans son étude «Visible Learning – Rendre l’apprentissage visible» de 2009 comme étant efficace en termes d’apprentissage: un enseignement guidé et structuré – centré sur l’élève, orienté sur la matière, mais dirigé par l’enseignant. Hattie parle d’«instruction directe».

De nombreux experts en éducation disqualifient cette forme d’enseignement comme étant un enseignement frontal démodé et la rejettent. Pourtant, elle est efficace en termes d’apprentissage. C’est ce que montrent des études empiriques. Franz E. Weinert, témoin clé du Plan d’études 21 et directeur de l’Institut Max Planck pour la recherche psychologique, constate de manière lapidaire: «Au grand désarroi de nombreux pédagogues réformateurs, la plupart des études sérieuses ont montré qu’une forme d’enseignement appelée [...] ‹instruction directe› était plus efficace que la moyenne. Elle améliore les résultats de presque tous les élèves.»

Les performances scolaires finlandaises jugées «très préoccupantes»

Mais le miracle éducatif finlandais n’a pas duré longtemps. Entre 2003 et 2012, le pays a perdu au total 25 points PISA, ce qui correspond à l’apprentissage d’une année scolaire entière. Dans les études internationales, les performances d’apprentissage finlandaises continuent à baisser. Le ministre finlandais de l’Education estime même que les résultats de 2022 sont «très inquiétants». L’ancien paradis de l’éducation devance toujours et encore la Suisse en sciences naturelles et en lecture.

Pourquoi ce succès? Pourquoi cette chute? Certains chercheurs expliquent le miracle éducatif de la Finlande par son ancien système scolaire: des enseignants à la personnalité forte, qui exercent une influence et dirigent, un enseignement guidé et clairement structuré, une méthodologie plutôt traditionnelle. Au milieu des années 1990, le pays change de credo. Des fonctionnaires remplacent les inspecteurs scolaires rompus à la pratique.

La chute commence simultanément à la mise en œuvre des réformes

Le système éducatif mise désormais sur des pédagogues assumant le rôle de facilitateur et qui, en tant que «coordinateurs d’enseignement», mettent l’accent sur l’enfant individuel et son apprentissage autogéré plutôt que sur la classe. Parallèlement, les programmes scolaires sont modifiés: ils ne sont plus formulés en fonction des contenus et des objectifs, mais unilatéralement en fonction des compétences. Les réformes prendront effet à partir de 2012. La recherche en éducation estime qu’il faudra dix à quinze ans pour y parvenir. En conséquence, la Finlande obtient des résultats plus faibles aux tests. Les notes PISA se dégradent précisément là où les réformes commencent à porter leurs fruits.

Les erreurs de la Finlande entraînent une tendance à la baisse. On peut en tirer des enseignements. La Suisse a suivi le même chemin lors des réformes. Une politique de l’éducation responsable devrait prendre le contre-pied de cette tendance. Les perdants de l'éducation sont toujours les enfants qui ont des difficultés d'apprentissage.

* Carl Bossard, 75 ans, est le recteur fondateur de la Haute école pédagogique de Zoug. Auparavant, il a été recteur de l’Ecole secondaire cantonale de Nidwald et directeur de l’Ecole cantonale de Lucerne. Aujourd’hui, il accompagne des écoles et dirige des cours de formation continue. Il s’intéresse aux questions d’histoire de l’école et de politique de l’éducation.

Source: NZZ am Sonntag, 7 janvier 2024, p. 21
(Reproduction avec l’aimable autorisation de l’auteur.)

(Traduction «Point de vue Suisse»)

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