Résultats PISA

La critique s’intensifie

Tout le monde veut obtenir de bons résultats PISA, comme s’il s’agissait d’une bonne politique éducative

par Michael Felten,* Allemagne

(15 mars 2024) En Allemagne, de plus en plus de voix s’élèvent pour critiquer l’étude mondiale sur les performances scolaires PISA et ses conséquences. Ainsi, l’«Association allemande des philologues» a suggéré en février 2024 de se retirer entièrement de cette procédure. Le principal formateur de professeurs de mathématiques de l’Université de Bonn, Rainer Kaenders,** fait également partie des critiques de renom.

Michael Felten.
(Photo mad)

Dans une interview,1 il a déclaré: «PISA n’est pas la solution, PISA est le problème.» Les résultats font l’objet d’un scandale tous les quelques ans, bien que les différences entre de nombreux pays soient loin d’être aussi importantes que ne le suggèrent les auteurs de PISA. En fait, l’étude elle-même serait «le plus grand désastre dans le paysage éducatif allemand». Comment faut-il comprendre cela?

Rainer Kaenders fait remarquer que les compétences mathématiques des jeunes en formation et à l’université ont fortement diminué depuis le début du millénaire. La raison: suite au choc de PISA, l’enseignement des mathématiques en Allemagne s’est radicalement modifié. Celui-ci avait une excellente réputation. Mais depuis 2003, son objectif prioritaire était d’obtenir de bons résultats au test PISA. Les programmes d’enseignement ont donc été «dépouillés» des compétences en calcul et des concepts mathématiques; à la place, les élèves ont été entraînés à donner les bonnes réponses à de nouveaux types d’exercices prétendument «liés à la vie quotidienne».

Rainer Kaenders. (Photo Benjamin Westhoff)

Dans le sillage de PISA, il faut notamment déplorer «l’orientation vers le rendement (‹output›) et les compétences» qui a été établie dans les normes de formation, les programmes scolaires et les examens centraux. Ce qui semble anodin devrait en fait permettre de rendre les élèves plus disponibles pour l’économie en tant que capital humain. Le moyen pour y parvenir est un catalogue «dans lequel les futurs travailleurs sont classés. Les entreprises peuvent ensuite choisir le type de combinaison de compétences dont elles ont besoin.» Mais cela passe complètement à côté de l’idéal de Humboldt d’un individu social, libre et cultivé, qui s’avère être capable de vivre – et pas seulement en ce qui concerne le travail.

Kaenders critique également le fait que cette notion de compétence sous-estime la motivation intrinsèque des élèves à apprendre, raison pour laquelle on croit devoir les soutenir à l’aide de «psychotechniques»: «Il faut donner aux enfants le sentiment – et ce sentiment suffit – qu’ils sont intégrés dans des communautés, qu’ils sont capables d’accomplir quelque chose et qu’ils font tout cela volontairement.» Et ainsi, ils seraient motivés – pour tout et n’importe quoi.

Mais cela va à l’encontre de ce que Platon disait déjà de l’éducation. Chez lui, il s’agit toujours du monde entier. C’est ce qui nous motive. «Je fais de la géométrie parce qu’elle existe. Je m’intéresse aux équations différentielles parce que je trouve cela fascinant et utile en soi. Et non pas parce que j’y acquiers des compétences qu’un employeur pourrait ensuite utiliser de manière avantageuse. L’école devrait permettre à la motivation de s’enflammer pour le monde sans miser sur des techniques psychologiques.»

Pour cela, il faut bien sûr suffisamment d’enseignants, mais le manque d’enseignants ne peut pas être comblé par la numérisation. «Les outils numériques peuvent être utilisés de manière très judicieuse, mais ils ne peuvent pas remplacer les enseignants.» Il y a suffisamment de personnes intéressées par l’enseignement, mais elles sont découragées par ce qu’est devenue l’école. «Le baccalauréat central n’est qu’un exemple parmi tant d’autres qui montre que l’on ne fait même pas confiance aux enseignants pour évaluer leurs propres élèves; la centralisation et la bureaucratie augmentent.»

En ce qui concerne un tournant vers le meilleur, Kaenders est sceptique: «Entre-temps, plus aucun parti établi n’a de vision viable pour une politique éducative autonome. Tout le monde parle de numérisation, d’hétérogénéité, de valeurs démocratiques. Mais les conservateurs n’insistent plus sur les canons classiques de l’éducation; les libéraux n’exigent plus de l’école qu’elle prépare à la société de la performance; les Verts ne veulent plus de l’épanouissement de la personnalité dans une société pluraliste; la gauche n’a plus dans son programme l’autonomisation des apprenants combatifs pour plus de justice sociale.» Tous ne veulent plus qu’obtenir de bons résultats PISA, ce que l’on considère comme une bonne politique de l’éducation. C’est un désastre et la fin n’est pas en vue.

*     Pédagogue et journaliste, Michael Felten a enseigné pendant plus de 30 ans dans un lycée et travaille désormais comme consultant indépendant en développement scolaire. Il publie entre autres dans le journal «Die Zeit» et sur le «Deutschen Schulportal». Ses dernières publications sont «Die Inklusionsfalle» [Le piège de l'inclusion] (Gütersloh 2017) ainsi que «Unterricht ist Beziehungssache» [L’enseignement est une affaire de relations] (Reclam 2020). En ligne: www.eltern-lehrer-fragen.
**    Rainer Kaenders, professeur de mathématiques et de leur didactique à l'Université rhénane Friedrich-Wilhelm de Bonn.

Traduction «Point de vue Suisse»)

1 N’ayant pas obtenu l’autorisation de la rédaction de l’organe de publication de l’interview de Rainer Kaenders pour la traduction en français et en anglais, «Point de vue Suisse» a demandé à Michael Felten, pédagogue et auteur de publications, de rédiger un article de synthèse sur son contenu. Vous trouverez l’entière interview de Rainer Kaenders en allemand sur notre site web. Lien: https://schweizer-standpunkt.ch/news-detailansicht-de-gesellchaft/der-eigentliche-skandal-ist-pisa-selbst.html

Informations générales sur PISA: https://www.pisa-suisse.ch/eleves/informations-generales/

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