La «nouvelle autorité» à l’école! – Pardon?

Carl Bossard
(Photo mad)

par Carl Bossard,* Suisse

(23 février 2024)D’abord, on la condamne, l’autorité pédagogique, et puis elle revient dans la salle de classe, affublée de l’attribut de la «nouveauté», par la petite porte et via un institut privé. Le pédagogue Carl Bossard au sujet d’un parcours de slalom d’une notion élémentaire.

Il faut que ce soit «nouveau». Presque tout ce qui se respecte est déclaré «nouveau». Cela attire les applaudissements et l’acceptation. Pour beaucoup, le «nouveau» est déjà considéré comme meilleur et supérieur à l’«ancien». Cela va de soi; personne ne veut être considéré vieux jeu. La pédagogie y est particulièrement sensible et, avec elle, la politique de formation – par crainte de ne plus être au goût du jour. On oublie les constantes anthropologiques, on ignore ce qui est toujours valable – parce que nous sommes des êtres humains. L’évolution humaine n’est justement pas assimilable à l’innovation technique. Pourtant, c’est ce qui se passe. Et là où l’on ne réfléchit plus, on anticipe – avec de nouveaux concepts et slogans: «nouvelle manière d’apprendre» par exemple ou «nouvelle culture d’apprentissage». C’est maintenant au tour de l’autorité, de la «nouvelle autorité», comme on l’appelle actuellement.

«Celui qui a appris à diriger avec une autorité bienveillante se maintiendra
dans la dynamique d'une classe vibrante.» (Photo mad)

Quand la qualité de l’école s’érode

«Allahu Akbar», c’est ce que des jeunes de l’école primaire de Berne Bethléem [un quartier de la ville de Berne, ndt.] ont crié en encerclant une enseignante. L’incident, qui s’est produit à la mi-décembre 2023, a fait sensation. L’école de la ville de Berne veut traiter cette situation avec l’approche dite de la «nouvelle autorité».1 C’est le «sina – systemisches institut für neue autorität» [Institut systémique pour la nouvelle autorité] de Zurich qui défend cette nouvelle approche en Suisse. Le concept est en plein essor.2 Les écoles s'inscrivent à des cours.

La détresse est grande, les cas de burnout ne sont pas isolés, même chez les enseignantes de maternelle. Dans de nombreux endroits, le système scolaire est arrivé à la limite de ses capacités, disent les initiés. On parle même d’«érosion de la qualité de l’école» et de «tohu-bohu» dans certaines salles de classe, comme l’a souligné il y a quelque temps le magazine «Der Beobachter».3 La «nouvelle autorité» doit désormais apporter des règles et donc de la sérénité à l’école et créer des «conditions favorables». C’est ce qu’exige le sociologue allemand Jürgen Habermas pour la réussite d’un bon enseignement. L’idée de la «nouvelle autorité» est due au psychologue israélien Heim Omer.4 Elle n’est pas issue du quotidien de l’enseignement; elle vient de la thérapie familiale. Le concept repose sur un langage sans équivoque et une présence importante des parents ou des enseignants, ainsi que la définition de règles contraignantes.

Démarcation face à une autorité devenue inexistante

Qu’y a-t-il de si nouveau avec la «nouvelle autorité»? La recherche empirique sur l’enseignement, la biologie du cerveau, la pédagogie de la résonance exigent cette nouveauté, et sans équivoque. Les principes de la «nouvelle autorité» se trouvent depuis un certain temps déjà dans l’étude pertinente de Jacob S. Kounin sur le «gestion de classe».5 La «nouvelle autorité» est peu nouvelle, du moins pour l’école – malgré son nouveau nom prometteur. Ce qui est plus intéressant, c’est la démarcation. L’autorité par le pouvoir est remplacée par une nouvelle autorité par le travail relationnel, déclare Sebastian Teuscher, directeur de l’école primaire de Berne Bethléem. Et il ajoute résolument: «L’autorité classique a fait son temps.»

Il se démarque ainsi d’une autorité et de «personnes autoritaires» telles que le philosophe Theodor W. Adorno les a analysées vers 1950 et que Siegfried Lenz les a décrites dans son livre «Leçon d’allemand». C’était l’autorité en tant que position; elle misait sur une hiérarchie formelle rigoureuse – et blessait de nombreux jeunes. «L’élève Gerber» de Friedrich Torberg en a fait l’expérience et y a tragiquement échoué. Frank Wedekind la caricature dans son drame satirique et critique de la société intitulé «L’éveil du printemps» – sous-titré «Une tragédie enfantine». Pourquoi donc construire de telles images déformées, alors qu’elles sont dépassées?6

Insuffisamment préparé au manège de la salle de classe

L’autorité est une notion difficile, un «candidat au rôle de méchant général», comme l’exprime le philosophe Hans Blumenberg. L’autorité ne s’acquiert pas facilement, elle nous est attribuée – ou pas. L’autorité personnelle est une affaire de relation, une sorte de confiance – et elle est indispensable dans le manège de la salle de classe et dans le quotidien pédagogique de plus en plus difficile. Il faut être capable de diriger et de résister. De nombreux jeunes enseignants n'y sont pas suffisamment préparés et surtout pas entraînés. C’est ce que montre l’appel désespéré à une «nouvelle» autorité.

La formation actuelle dans les Hautes écoles pédagogiques, axée sur l’individualisation, néglige la gestion cohérente d’une classe.

Cela ne peut s’expliquer que par le fait que l’autorité personnelle – longtemps et souvent considérée comme allant de soi – a été mise de côté. La formation actuelle dans les Hautes écoles pédagogiques, axée sur l’individualisation, néglige la gestion cohérente de la classe. Aujourd'hui, les futurs enseignants ne dirigent plus en premier lieu des classes, explique-t-on; l'individualisation est de mise. L’enseignant est un coach et, en tant que «partenaire» ou «conseiller», il accompagne les apprenants. L’enseignement en commun a tendance à disparaître, la gestion de classe est donc devenue secondaire. De toute façon, le mot «diriger» [en allemand «führen»>der Führer, ndt.], historiquement contaminé, a un arrière-goût de mauvais augure.

Les enfants cherchent un chef

De telles tendances méconnaissent la réalité. La tâche de leadership pédagogique doit faire l’objet d’une formation ciblée. Le neurobiologiste Joachim Bauer l’exprime ainsi: «Les enfants et les adolescents veulent les deux: la compréhension et la conduite.» Selon lui, ce sont les piliers indispensables d’un enseignement respectueux et efficace. En d’autres termes, les enfants veulent un chef juste; ils souhaitent un chef d’orchestre empathique.

L’affirmation du leadership dans la salle de classe est liée à une relation positive avec l’autorité pédagogique. Un élève s’autorise davantage lorsqu’un enseignant dispose de peu d’autorité. Le respect, tel que le revendique la «nouvelle autorité», est lié à l’autorité personnelle. Il est attribué et nécessite un vis-à-vis vital: un enseignant à l’autorité positive, qui dirige l’élève et régule le comportement en classe avec un engagement contraignant.

Les enseignants dirigent l’apprentissage et les apprenants

La recherche empirique en éducation le montre: ce sont les enseignants et leur enseignement – et leur relation tangible avec les enfants – qui sont centraux. Il n’y a pas de racolage, de laissez-faire ou de proximité fraternelle. Les pédagogues doués le savent. Ils dirigent avec fermeté et décontraction et dégagent une autorité charmante et naturelle. Ils savent aussi avoir le courage de dire non. On éprouve du respect pour de telles autorités. Il se forme par l’attribution de valeurs personnelles et socio-humaines. On n’envahit pas une personne respectée avec des agressions bruyantes à la Berne Bethléem.

Quiconque a appris à diriger avec une autorité attentive se maintiendra dans la dynamique d’une classe vibrante. Dans le brouhaha actuel des salles de classe, ce n’est certes pas une garantie contre les comportements récalcitrants des élèves, mais c’est une prévention importante – en connaissance de cause: Les enfants cherchent un «leader». Dans la psychologie pédagogique américaine, on dit de manière pragmatique: «Teachers are leaders of learning and learners.» Les enseignants dirigent l’apprentissage et les apprenants. Quiconque s’est approprié ces outils élémentaires dans sa formation initiale n’a pas besoin d’une «nouvelle autorité».

* Carl Bossard, 75 ans, est le recteur fondateur de la Haute école pédagogique de Zoug. Auparavant, il a été recteur de l’Ecole secondaire cantonale de Nidwald et directeur de l’Ecole cantonale de Lucerne. Aujourd’hui, il accompagne des écoles et dirige des cours de formation continue. Il s’intéresse aux questions d’histoire de l’école et de politique de l’éducation.

Source: https://www.journal21.ch/artikel/neue-autoritaet-der-schule-wie-bitte, 4 février 2024
(Reproduction avec l'aimable autorisation de l'auteur) (Traduction «Point de vue Suisse»)

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 Nina Fargahi. An den Schulen boomt die «Neue Autorität», in Tages-Anzeiger, 16 janvier 2024, p.4

2 Susanne Balli. «Neue Autorität»: Ein Konzept macht Schule, in CH Media, 29 janvier 2024, p.19

3 Julia Hofer, Tohuwabohu im Klassenzimmer, in: Beobachter 25/2021, p.92

4 Haim Omer/Arist von Schlippe (2010). «Autorität durch Beziehung. Die Praxis des gewaltlosen Widerstands in der Erziehung». Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht. Dazu: Haim Omer/Philip Streit (2016). «Neue Autorität: Das Geheimnis starker Eltern». Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht.

5 Jacob S. Kounin (2006). «Techniken der Klassenführung». Standardwerke aus Psychologie und Pädagogik. Reprints von Jacob S. Kounin, hrsg. von D. H. Rost (2006). Waxmann: Münster/München/Berlin.

6 Cf. Roland Reichenbach (2011). «Pädagogische Autorität. Macht und Vertrauen in der Erziehung». Stuttgart: Verlag W. Kohlhammer.

Retour