La révolution du thorium en Chine

par Alex Krainer, TrendCompass*

(4 juillet 2025) Le mois dernier, des scientifiques chinois ont réalisé une avancée majeure avec le réacteur expérimental au thorium de 2 mégawatts dans le désert de Gobi en rechargeant le réacteur alors qu'il fonctionnait à plein régime – une première mondiale.

Alex Krainer.
(Photo mad)

Le réacteur a atteint la criticité1 en octobre 2023 et a atteint sa pleine puissance en juin 2024. Le réacteur chinois s'inspire du Molten Salt Reactor Experiment (MSRE) américain de 1960, développé à l'Oak Ridge National Laboratory, que les Etats-Unis ont déclassifié après avoir abandonné cette technologie.

Les scientifiques chinois de l'Institut de physique appliquée de Shanghai (SINAP) ont utilisé ces conceptions et les ont perfectionnées, déclarant que «les Etats-Unis ont rendu leurs recherches accessibles au public, dans l'attente d'un successeur digne de ce nom. Nous sommes ce successeur».

En mars, la Chine a annoncé la découverte d'un gisement massif de thorium qui représente désormais une réserve de combustible susceptible d'alimenter le pays pendant 60 000 ans. Comparé à l'uranium, le thorium est un combustible nettement plus sûr, beaucoup plus abondant et produisant moins de déchets nucléaires, ce qui pourrait changer la donne dans la production d'énergie nucléaire.

Réacteur au thorium. (Photo commons)

Développé aux Etats-Unis dès 1959

La technologie des réacteurs au thorium a été initialement développée aux Etats-Unis en 1959 et, de 1962 à 1972, les Etats-Unis ont exploité sans incident un cargo alimenté au thorium. Mais finalement, le thorium a été abandonné en 1972 au profit du plutonium, car les autorités américaines chargées de la défense ont estimé que le thorium ne pouvait pas être utilisé à des fins militaires.

La Chine a adopté la propriété intellectuelle du thorium en 2011

Pour des raisons mystérieuses, vers 2010, les Etats-Unis ont cédé leur propriété intellectuelle sur le thorium, et à partir de 2011, la Chine l'a adoptée et a investi massivement dans son développement. Le thorium est disponible en abondance dans le monde entier, son exploitation est beaucoup moins coûteuse que celle des autres combustibles nucléaires et personne ne contrôle son approvisionnement. Apparemment, les réacteurs au thorium peuvent produire 200 fois plus d'énergie à partir d'une même quantité de combustible que les réacteurs nucléaires traditionnels, et ils brûlent à 80% proprement, ne laissant que très peu de polluants après utilisation.

Alors pourquoi les pays occidentaux n'ont-ils pas continué à développer cette technologie révolutionnaire? Outre l'aspect militaire, le sophisme du coût irrécupérable pourrait être en cause, car il semble que les pays occidentaux aient trop investi dans les réacteurs à uranium, l'extraction et le commerce de l'uranium, ce qui les rend réticents à embrasser la transition. Un autre problème pourrait être que les puissances occidentales se concentrent sur des enjeux à court terme (les Etats-Unis se concentrent sur la vente de GNL à l'Europe) tandis que la Chine s'intéresse à un développement stratégique à long terme.

De nouvelles possibilités de développement

La transition s'accélère aujourd'hui, ouvrant des possibilités de développement totalement nouvelles: dans un avenir pas si lointain, les réacteurs au thorium pourraient transformer non seulement la production d'électricité, mais aussi le transport maritime et terrestre, par exemple en permettant des déplacements rapides à travers l'Eurasie, ce qui justifierait l'extension du réseau ferroviaire à grande vitesse de la Chine, long de près de 30 000 miles, à travers le continent eurasien. Cette nouvelle technologie énergétique pourrait également s'avérer essentielle pour alimenter l'intelligence artificielle.

Il s'agit là d'un autre domaine dans lequel la Chine est devenue un acteur dominant, non pas en déréglementant les marchés et en laissant libre cours au capital privé, mais grâce à une stratégie et à une planification minutieuses. Dès 2006, le gouvernement chinois a élaboré le «Plan à moyen et long terme pour le développement de la science et de la technologie» (MLP),2 qui définit la stratégie visant à transformer la Chine en une «société innovante» d'ici 2020 et en un leader mondial dans le domaine des sciences et des technologies d'ici 2050. Le fait que la Chine n'ait pas gaspillé sa richesse et son potentiel économique dans des guerres sans fin a également contribué à cette évolution.

* Alex Krainer est le créateur de «I-System Trend Following» et l'éditeur du quotidien «Trend Compass». Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les marchés financiers et les matières premières.

Source: https://trendcompass.substack.com/p/chinas-thorium-revolution, 9 mai 2025

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 La criticité en génie nucléaire désigne à la fois le bilan neutronique d'une installation nucléaire et l'état critique d'un réacteur nucléaire ou d'un assemblage de matières fissiles. Un assemblage est critique lorsque le nombre de neutrons libres produits par unité de temps est égal au nombre de neutrons qui disparaissent par absorption et fuite (c'est-à-dire perte vers l'extérieur). L'état critique est l'état de fonctionnement normal d'un réacteur nucléaire dans lequel se produit une réaction en chaîne auto-entretenue. Le flux neutronique et donc la puissance générée, c'est-à-dire l'énergie thermique libérée par unité de temps, peuvent être plus ou moins élevés; la criticité signifie uniquement que ces variables restent constantes dans le temps. (Wikipedia)

2 https://www.itu.int/en/ITU-D/Cybersecurity/Documents/National_Strategies_Repository/China_2006.pdf

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