Les bellicistes sont indésirables!

Discours de Jürgen Rose,* Allemagne

Mesdames et Messieurs, chers amis de la paix!

(8 mars 2024) C’est tout en votre honneur d’être venus si nombreux aujourd’hui et de donner ainsi un signal pour la paix dans le monde, bien qu’il faille de l’élan et du courage pour se lever en ces temps de guerre et de tambours de la victoire omniprésents et universels et pour élever la voix contre les meurtres massifs perpétrés sur les «champs de bataille» de ce monde. D’autant plus que des gens comme nous sont souvent diffamés sans détour comme «pacifistes de pacotille» par de nombreux claqueurs politiques et journalistiques de la guerre, qui, à l’inverse, seraient bien mieux qualifiés d’«va-t’en-guerre voyous».

Jürgen Rose.
(Photo screenshot)

Ce week-end, ici à Munich, une illustre sélection de cette espèce s’est réunie pour la soixantième fois dans le cadre de la «Conférence de Munich sur la sécurité» – et ce n’est pas pour discuter de la paix dans le monde et des voies possibles pour y parvenir, telles les mesures de confiance et de sécurité, le contrôle des armements et le désarmement ainsi que la détente et la coexistence pacifique.

Non, lors de ce rendez-vous des seigneurs de la guerre de l’OTAN, il s’agit avant tout, sous la direction des Etats-Unis – cet impitoyable empire de la barbarie qui continue de représenter le plus grand danger pour la paix et la sécurité internationales – de s’armer à des fins lucratives au profit d’une industrie de l’armement démesurée et de planifier des guerres victorieuses, maintenant et à l’avenir – le «concept stratégique» actuel de l’OTAN, adopté l’année dernière à Madrid, en témoigne de manière éloquente. Et c’est pourquoi la mal nommée «Conférence de Munich sur la sécurité» est une grossière tromperie du public, car en réalité, c’est une «conférence sur la non-sécurité» des plus honteuses, célébrée sous les yeux de l’opinion publique mondiale.

Dans son Message de Noël du 25 décembre 2023, le pape François s’est exprimé très clairement sur les «commanditaires des guerres» lorsqu’il a appelé à dire

«‹non› à la guerre – et à le faire avec courage: dire non à la guerre, à toute guerre, à la logique même de la guerre, qui est un voyage sans but, une défaite sans vainqueur et une folie pour laquelle il n’y a pas d’excuse. [...] Mais pour dire ‹non› à la guerre, il faut dire ‹non› aux armes. [...] Comment peut-on parler de paix quand la production, la vente et le commerce des armes augmentent? [...] Les gens qui ne veulent pas d’armes mais du pain, qui se battent pour joindre les deux bouts et qui demandent la paix, ne savent pas combien d’argent public est dépensé pour l’armement. Pourtant, ils devraient le savoir! C’est de cela qu’il faut parler, c’est de cela qu’il faut écrire, afin que soient connus les intérêts et les profits qui sont à l’origine des guerres.»

Les «commanditaires des guerres» adressés par le pape sont bien connus du monde: il s’agit des seigneurs de la guerre de l’OTAN, qui viennent de se réunir non loin d’ici. En premier lieu, les Etats-Unis, au sujet desquels le prix Nobel de littérature Thomas Mann constatait déjà en 1953, avec une extraordinaire clairvoyance, dans son «Appel aux Européens», que ceux-ci

«traitent l’Europe comme une colonie économique, une base militaire, un glacis dans la future croisade atomique contre la Russie [...], comme un morceau de terre certes intéressant du point de vue de l’antiquité et digne d’être visité, mais dont on se fichera comme d’une guigne de la ruine complète lorsqu’il s’agira de lutter pour la domination mondiale.»

C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui, comme le prouve la guerre d’agression – instiguée et provoquée par l’OTAN sous la houlette des Etats-Unis – de la Fédération de Russie contre l’Ukraine. C’est le secrétaire général de l’OTAN lui-même, Jens Stoltenberg, qui a confirmé cet état de fait en mars 2022, lorsqu’il a déclaré:

«Il ne faut pas oublier que depuis l’annexion illégale de la Crimée en 2014, les alliés de l’OTAN ont formé des dizaines de milliers de soldats ukrainiens qui sont maintenant sur le front. Et nous les avons équipés. L’armée ukrainienne est maintenant beaucoup plus forte, beaucoup mieux équipée qu’en 2014.»

En outre, Stoltenberg s’est ouvertement vanté du fait que l’OTAN avait brutalement rejeté toute offre de la Russie visant à résoudre le conflit par la voie diplomatique, contribuant ainsi de manière déterminante au déclenchement de la guerre en Ukraine:

«L’arrière-plan était ce que le président Poutine avait déclaré à l’automne 2021 et avait effectivement envoyé un projet de traité que l’OTAN devait signer, en promettant qu’il n’y aurait pas d’autre élargissement de l’OTAN. [...] Et c’était une condition préalable pour ne pas envahir l’Ukraine. Nous n’avons évidemment pas signé cela. [...] Il est donc entré en guerre pour empêcher l’OTAN, plus d’OTAN, de s’approcher de ses frontières.»

Cela peut paraître étonnant, mais de temps en temps, les «cerveaux des guerres» laissent effectivement tomber leur masque et se rendent – sans qu’on sache pourquoi – honnêtes. Au vu de ces faits accablants, il ne reste qu’une seule conclusion possible à la question des commanditaires de la guerre en Ukraine: sans l’OTAN, pas de guerre en Ukraine et sans l’élargissement de l’OTAN à l’Est, pas de troupes russes en Ukraine!

L’ancien inspecteur général de l’armée allemande et ancien président du comité militaire de l’OTAN, le général quatre étoiles à la retraite Harald Kujat, s’est exprimé sur ces fauteurs de guerre ainsi que sur l’incompétence et l’oubli du devoir des (ir)responsables gouvernementaux allemands. Il a déclaré avec une franchise spectaculaire pour cet ancien soldat allemand le plus haut gradé:

«Tout le problème est que nous avons, au plus tard depuis le dernier changement de gouvernement ici en Allemagne, des gens à la tête du pays qui [...] disons le simplement, des gens qui font des erreurs en raison de leur incompétence et de leur ignorance, et nous avons la politique qu’ils font. [...] Il s’agit d’une politique dangereuse. Elle est menée de manière fanatique, selon le même principe qu’un cheval avec des œillères devant les yeux. Personne ne regarde à droite ou à gauche. Les gains et les pertes pour les Allemands ne sont pas pris en compte.

Mais le plus important: personne ne pense aux conséquences d’une telle politique pour les Ukrainiens. Mais ce sont eux qui souffrent en premier lieu des combats actuels. Des centaines de milliers de personnes ont été tuées, le pays a été détruit. Nos politiques sortent tout cela de son contexte et crient haut et fort: ‹L’essentiel est que l’Ukraine gagne.› Cela ressemble à un mantra. [...] Mais, écoutez, ce n’est pas de la politique! Ce n’est pas comme ça qu’on fait de la politique. C’est du fanatisme. Et c’est une grande déception. Et bien sûr, il est très difficile d’observer l’oubli de toute l’expérience que nous avons accumulée au cours des dernières décennies. Cette expérience est tout simplement foulée aux pieds par les dirigeants allemands, alors qu’elle a été très utile tant dans la politique étrangère que dans la sphère de la sécurité. Ce sont ces expériences qui nous ont permis de parvenir à la réunification de l’Allemagne. Grâce à la politique qui s’appuie sur cette expérience, nous vivons depuis des décennies dans la sécurité et la prospérité. [...] Je considère ce comportement [des hommes et femmes politiques allemands] comme irresponsable.»

Cela n’augure rien de bon, ni pour l’Ukraine déchirée par la guerre, ni pour une architecture de sécurité européenne qui reste indispensable. Le professeur américain Jeffrey David Sachs, directeur du Sustainable Development Solutions Network’s de l’ONU, a mis en évidence la prémisse essentielle d’une refonte de l’architecture de sécurité européenne en s’adressant aux Etats-Unis d’Amérique en tant que puissance impériale principalement responsable de la guerre en Ukraine en ces termes:

«La guerre en Ukraine peut et va cesser si les Etats-Unis cessent enfin leurs efforts d’extension de l’OTAN à l’Ukraine et négocient plutôt directement avec la Russie sur des questions urgentes de sécurité mutuelle, y compris une diplomatie renouvelée pour le désarmement nucléaire.»

Pour les sociétés civiles du «NATOstan», il en résulte, comme à l’époque de la guerre criminelle des Etats-Unis au Vietnam et comme à l’époque d’un armement nucléaire démesuré dans les années 1980, de «se lever pour la paix», de forger «des épées en socs de charrue» et de «construire la paix avec moins d’armes – ou mieux encore – sans armes du tout», car comme l’avait si irréfutablement rappelé Kurt Tucholsky un jour: «La guerre est profondément immorale en toutes circonstances.»

* Discours prononcé par le lieutenant-colonel à la retraite Jürgen Rose à l’occasion de la 60e Conférence sur la sécurité de Munich le 17 février 2024. Il est président du groupe de travail «Darmstädter Signal» et membre du conseil consultatif de l’Association allemande des libres-penseurs.

(Traduction «Point de vue Suisse»)

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