«Pas en notre nom»
Le sionisme n'est pas synonyme de judaïsme
par Detlef Koch*
(27 juin 2025) Aujourd'hui, le 13 juin, débute à Vienne un événement qui semblait jusqu’à présent impensable: des juifs du monde entier se rassemblent – rabbins, survivants de la Shoah, intellectuels, militants mizrahi, voix de la diaspora de gauche – pour critiquer publiquement, avec assurance et de manière organisée, le sionisme. Non par haine, mais par responsabilité. Non pour briser un tabou, mais pour renouer avec l'éthique de l'histoire juive. Le «Premier congrès juif et antisioniste» n'est pas un phénomène marginal. Il est le symptôme moral d'un bouleversement – et une invitation à enfin repenser les concepts qui paralysent la critique politique depuis des décennies.

(Photo mad)
Un lieu de naissance devient frontière
Ce n'est pas un hasard si ce congrès se tient précisément ici. Vienne a été le point de départ du mouvement sioniste, la patrie spirituelle de Theodor Herzl, où l'idée d'un Etat juif a pour la première fois gagné une place sur la scène politique. Mais Vienne a également été le lieu de l'échec de Herzl: en 1897, il voulait y tenir le premier congrès sioniste, mais la communauté juive s'y est opposée. L'idée semblait trop dangereuse, trop radicale, trop clivante.
Aujourd'hui, plus d'un siècle plus tard, le débat refait surface. Non pas comme une note de bas de page de l'histoire, mais comme une analyse du présent. Car ce qui était alors considéré comme une «normalisation» juive – la création d'un propre Etat – s'est transformé, selon les voix viennoises, en un projet internationaliste justifiant la violence, l'exclusion et l'apartheid. Le sionisme, disent-ils, s'est éloigné de l'éthique juive. Plus encore, il a usurpé l'héritage moral du judaïsme – «en notre nom», mais sans notre consentement.

contexte. (Photo capture d'écran)
Une reconquête pluraliste
Le congrès ne se considère donc pas comme une attaque, mais comme une reconquête. Une tentative de redonner une voix à la diversité des opinions juives. Dans un monde où Israël est déclaré être la seule voix «des juifs», c'est un acte d'hygiène politique.
«Nous voulons montrer que le sionisme n'est pas synonyme de judaïsme. On peut critiquer Israël – à partir d'une position profondément juive», déclare Dalia Sarig, coorganisatrice et porte-parole de l'Initiative antisioniste viennoise. Elle parle doucement, mais avec détermination. L'accusation d'antisémitisme est devenue pour elle une arme utilisée contre les juifs qui refusent de se rendre complices de l'oppression.
Et c'est ainsi qu'ils sont maintenant assis à Vienne, Stephen Kapos, survivant de l'Holocauste originaire de Hongrie, qui lutte aujourd'hui pour les droits des Palestiniens. Ilan Pappé, historien de Haïfa, qui décrit la Nakba non pas comme un mythe, mais comme un nettoyage ethnique documenté. Yakov Rabkin, intellectuel orthodoxe canadien, qui considère le projet idéologique du sionisme comme une aberration théologique. Reuven Abergel, militant mizrahi, qui rappelle la privation des droits des juifs orientaux en Israël. Et Iris Hefets, Israélienne de naissance, psychanalyste à Berlin, dont la critique des guerres d'Israël lui a valu d'être accusée d’«auto-haine juive».
Ce qui les unit, ce n'est pas une idéologie, mais un réflexe moral. La conviction que l'histoire juive ne sert pas à légitimer de nouvelles injustices. Et que le «plus jamais ça» auquel la politique européenne se réfère si volontiers ne doit pas être pensé de manière sélective.
«Plus jamais ça – pour tous»
C'est précisément là que réside la force explosive du congrès. Car il exige ce que la classe politique européenne évite depuis des années: une application universelle des leçons de l'Holocauste. Non pas comme une relativisation, mais comme une obligation. Selon l'argumentation, ceux qui invoquent la Shoah ne peuvent rester silencieux lorsqu'un autre peuple est aujourd'hui systématiquement privé de ses droits, bombardé, bloqué. «Je suis un survivant de l'Holocauste», déclare Stephen Kapos dans son discours d'ouverture. «Je sais ce que signifie être déshumanisé. Ce qui se passe à Gaza viole tout ce que notre histoire devrait incarner.»
Une phrase qui fait bouger les lignes. Non pas parce qu'elle est provocatrice, mais parce qu'elle refuse de traiter l'histoire comme une propriété. La Shoah, tel est le message, n'est pas un capital diplomatique, mais une promesse morale. Et cette promesse ne s'arrête pas aux frontières ethniques.
C'est là qu'intervient le slogan central du congrès: «Plus jamais ça – pour tous». Une phrase qui semble si simple qu'on en oublie presque son caractère radical. Car elle remet en question «l'arrangement mémoriel» européen qui fait d'Israël une enclave moralement intouchable. Le Congrès de Vienne affirme au contraire que c'est précisément parce que nous sommes juifs que nous ne devons pas nous taire. C'est précisément parce que nous avons été persécutés que nous avons le devoir de défendre les autres.
Antisionisme ≠ antisémitisme
L'accusation portée par les opposants à la manifestation est bien connue: l'antisionisme serait un antisémitisme déguisé. Le fait que cette accusation soit portée précisément contre des survivants de la Shoah, des rabbins et des dissidents israéliens révèle à quel point elle est devenue creuse.
L'antisionisme n'est pas une haine des juifs, mais la critique d'une idéologie politique qui transforme la religion en Etat, la morale en doctrine militaire, l'histoire en revendication de propriété. Et ceux qui ne doivent pas critiquer tout cela perdent ce qui a toujours caractérisé le judaïsme: sa voix prophétique. «L'antisionisme n'est pas en contradiction avec le judaïsme», explique Yakov Rabkin. «C'est un retour à ses fondements éthiques.»
Le congrès le souligne très clairement. Il se distancie de toute forme d'antisémitisme, de toute minimisation de la Shoah, de toute glorification de la violence. Mais il ne permet pas que la critique d'un nationalisme – et c'est bien de cela qu'il s'agit avec le sionisme – soit qualifiée d'antisémite en soi.
Le débat semble être arrivé à un point où il porte désormais moins sur les mots que sur la dignité.
Silence et résonance
Les réactions au congrès sont prévisibles, mais néanmoins révélatrices. La Communauté israélite de Vienne reste silencieuse, du moins officiellement. En coulisses, on parle de «haine de soi», de «trahison», de «honte». Le président conservateur du Conseil national, Wolfgang Sobotka, avait déjà qualifié Dalia Sarig l'année dernière de «juive antisémite» – une accusation dont le renversement est d'une absurdité sans pareille.
La grande presse autrichienne reste remarquablement discrète. Pas d'éditorial, pas de débat. La rubrique culturelle se fait discrète. A la place, ce sont les plateformes internationales, les médias palestiniens et les réseaux juifs de gauche qui s'emparent du sujet, formant une carte médiatique qui montre à quel point la pluralité juive a été jusqu'à présent absente du discours germanophone.
Mais parallèlement, des messages de solidarité affluent du monde entier: de groupes juifs à Londres, Montréal, Johannesburg; de survivants de l'Holocauste en France; de rabbins progressistes américains. Une nouvelle diaspora juive semble se former, non pas pour se démarquer, mais pour pouvoir enfin s'exprimer à nouveau.
Epilogue: debout dans la dissonance
Il n'y a pas de phrases simples dans ce débat. Mais il y en a qui sont nécessaires. Et l'une d'elles est:
«Pas en notre nom.»
Ce n'est pas en notre nom que l'occupation doit être déclarée comme mesure de protection. Ce n'est pas en notre nom que l'apartheid doit devenir raison d'Etat. Ce n'est pas en notre nom que la mémoire de l'Holocauste doit servir à réduire autrui au silence.
Le premier Congrès juif antisioniste de Vienne n'est pas un phénomène marginal. C'est un prélude. Peut-être pas d'un bouleversement politique, mais d'une renaissance de cette voix juive qui refuse toute compromission avec le pouvoir. Une voix qui se nourrit de l'histoire, mais qui ne s'y retranche pas. Une voix qui rappelle, non pas pour dominer, mais pour témoigner. Et c'est peut-être là que réside sa plus grande importance: non pas dans le fait qu'il délégitime Israël – mais qu'il ramène le judaïsme à lui-même.
* Detlef Koch (né en 1960) a été pendant de nombreuses années fondateur et chef de projet dans le domaine de la coopération au développement rural en Inde. Il est actuellement journaliste et s'engage en faveur de la participation démocratique et de la justice sociale. Il a collaboré avec Rolf Verleger, décédé en 2021, au sein de l'association Bündnis für Gerechtigkeit zwischen Israelis und Palästinensern (BIP) e.V. [Alliance pour la justice entre Israéliens et Palestiniens] sur le thème d'Israël et de la Palestine. |
Source: https://www.nachdenkseiten.de/?p=134413,13 juin 2025
(Traduction «Point de vue Suisse»)