Deux fois vingt ans

Wilfried Schreiber (Photo mad)

Le nouveau traité entre la Chine et la Russie

par Wilfried Schreiber,* Allemagne

Face au désastre de vingt ans de présence militaire occidentale en Afghanistan, un événement politico-diplomatique est passé inaperçu dans ce pays, mais sa dimension géostratégique est tout aussi significative. Il s'agit de la prorogation du «Traité d'amitié et de coopération entre la Fédération de Russie et la République populaire de Chine» pour 20 ans supplémentaires. La prorogation du traité en juin 2021 et la déclaration commune des deux pays pourraient être utiles pour toute analyse postérieure à la guerre en Afghanistan.

Dans la déclaration,1 les deux parties soulignent que les relations russo-chinoises se sont développées avec succès sur la base du traité de 2001 et prennent désormais un «caractère véritablement stratégique». Ce faisant, les deux Etats poursuivent la prétention de créer un modèle pour un nouveau type de relations interétatiques. C'est ainsi qu'on formule des déclarations conceptuelles sur un nouvel ordre mondial.Au cœur de ce mouvement se trouve tout d'abord le rejet de la prétention des Etats-Unis à affirmer leur rôle hégémonique dans le monde. Cette déclaration fait référence à l'argumentation des Etats-Unis avec la formule de «l'ordre fondé sur des règles», devant être la norme pour toutes les relations internationales. Ce que l'on entend par là, ce sont des normes de comportement qui correspondent principalement aux intérêts et aux valeurs de l'Occident. Il s'agit en particulier de catégories telles que la liberté, la démocratie et les droits de l'Homme, qui sont interprétées unilatéralement et placées au centre d'une politique étrangère moralisatrice sans être légitimées par le droit international.

La déclaration commune part du principe qu'il ne peut y avoir de retour en arrière par rapport aux normes fixées par la Charte des Nations Unies. Seules les règles qui en découlent correspondent aux principes d'égalité et de souveraineté nationale qui s'appliquent à tous les Etats membres de l’ONU. A cet égard, le concept d'«ordre fondé sur des règles» est résolument rejeté par la Russie et la Chine, car il vise à reconnaître uniquement le mode de vie occidental comme le seul modèle acceptable pour toute la civilisation humaine. Cette prétention universaliste a lamentablement échoué en Afghanistan après vingt ans de politique missionnaire et de changement de régime.

Face à cette débâcle, l'Occident devrait considérer comme une chance que la déclaration russo-chinoise lance une invitation à l'Occident transatlantique pour mener un dialogue stratégique sur l'avenir de la planète. Dans ce contexte, la Russie et la Chine partent du principe que, dans le monde d'aujourd'hui, les Etats dotés d'armes nucléaires en particulier ont une responsabilité spéciale. La déclaration commune s'adresse donc directement aux membres permanents du Conseil de sécurité et les exhorte à se montrer à la hauteur de cette responsabilité en tant que principales puissances nucléaires. A cette fin, elle propose une réunion au sommet des membres permanents du Conseil de sécurité.

L'Occident transatlantique serait bien inspiré d'accepter l'offre de dialogue et de coopération de la Russie et de la Chine. La situation est favorable, parce que le monde entier demande que des leçons soient tirées de la débâcle de l'Afghanistan. Compte tenu de la complexité de la situation sur place, des solutions pragmatiques et de realpolitik s'imposent. Les rivalités croissantes dans le monde doivent être surmontées.

La concurrence entre une «ligue de démocrates» et une «ligue d'autocrates» ne peut être utile ici. La question d'un ordre mondial de droit international et de multilatéralisme est à l'ordre du jour. Mais cela présuppose que l'Occident transatlantique renonce à sa prétention néocolonialiste d'être le seul modèle de civilisation acceptable pour l'humanité.

L'attitude de l'Union européenne est susceptible de jouer un rôle important dans la résolution de cette question. Se considère-t-elle comme un acteur et un rival géopolitique ou avant tout comme un médiateur entre les grands adversaires? La chance de l'Union européenne de survivre dans cette compétition ne réside pas dans la confrontation, mais dans la coopération mondiale. Reste à savoir si l'UE trouvera la force de raisonner.

* Prof. Dr. sc. oec. et Dr. phil. Wilfried Schreiber, né en 1937, chercheur senior à l'Institut de politique internationale WeltTrends, membre du conseil scientifique de WeltTrends, membre du groupe de discussion sur la politique de paix et de sécurité de la Fondation Rosa Luxemburg, wlschreiber@arcor.de

Source: WorldTrends. Das aussenpolitische Journal, no 180, octobre 2021, 29e année, p. 70–71. Réimpression avec l’aimable permission de l’auteur.

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 https://slub.qucosa.de/api/qucosa%3A75727/attachment/ATT-0/

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