Proche-Orient
«Pour mettre fin à la spirale de haine et de violence»
(17 octobre 2025) Le secrétaire d'Etat du Saint-Siège, le cardinal Pietro Parolin, s'est exprimé devant les médias du Vatican à l'occasion du deuxième anniversaire de l'attaque «indigne et inhumaine» du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023, qui a conduit à la destruction de la bande de Gaza. Il a appelé à la libération des otages et à la fin des violences.
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Entretien avec le cardinal Pietro Parolin réalisé par Andrea Tornielli et Roberto Paglialonga – Cité du Vatican
Eminence, nous entrons dans la troisième année depuis la tragique attaque du 7 octobre. Quel souvenir gardez-vous de ce moment et quelle en a été, selon vous, la signification pour l'Etat d'Israël et les communautés juives dans le monde?
Cardinal Pietro Parolin: Je répète ce que j'ai eu l'occasion de dire à l'époque: l'attaque terroriste perpétrée par le Hamas et d'autres milices contre des milliers d'Israéliens et de migrants résidents, dont beaucoup étaient des civils, qui s'apprêtaient à célébrer le jour de Simchat Torah, à la fin de la semaine de la fête de Souccot, était inhumaine et injustifiable. La violence brutale perpétrée contre des enfants, des femmes, des jeunes et des personnes âgées, ne peut avoir aucune justification. Ce fut un massacre indigne et, je le répète, inhumain. Le Saint-Siège a tout de suite exprimé sa condamnation totale et ferme, demandant la libération immédiate des otages et manifestant sa solidarité avec les familles victimes de l'attaque terroriste. Nous avons prié et continuons à le faire, tout comme nous continuons à demander qu'il soit mis fin à cette spirale perverse de haine et de violence qui risque de nous entraîner dans un abîme sans retour.
Que souhaitez-vous dire aux familles des otages israéliens toujours détenus par le Hamas?
Malheureusement, deux années se sont déjà écoulées, certains d'entre eux sont morts, d'autres ont été libérés après de longues négociations. Je suis profondément touché et attristé par les images de ces personnes retenues prisonnières dans des tunnels et réduites à la famine. Nous ne pouvons ni ne devons les oublier. Je me souviens que le Pape François, au cours des 18 derniers mois de sa vie, a lancé pas moins de 21 appels publics demandant la libération des otages. Il a aussi rencontré certaines de leurs familles. Son successeur, le Pape Léon XIV, a continué à lancer ces appels. Je leur exprime toute ma solidarité, dans ma prière quotidienne pour leurs souffrances, en continuant à leur assurer toute notre disponibilité à faire tout ce qui est possible pour qu'ils puissent retrouver leurs proches sains et saufs, ou au moins récupérer les corps de ceux qui ont été tués, afin qu'ils puissent être enterrés dignement.
En commémorant le premier anniversaire de l'attaque du 7 octobre, le Pape François avait parlé de «l'incapacité honteuse de la communauté internationale et des pays les plus puissants à faire taire les armes et à mettre fin à la tragédie de la guerre». Que faut-il pour la paix?
Aujourd'hui, la situation à Gaza est encore plus grave et tragique qu'il y a un an, après une guerre dévastatrice qui a fait des dizaines de milliers de morts. Il est nécessaire de retrouver le sens de la raison, d'abandonner la logique aveugle de la haine et de la vengeance, de refuser la violence comme solution. C'est le droit de ceux qui sont attaqués de se défendre, mais même la légitime défense doit respecter le principe de proportionnalité. Malheureusement, la guerre qui en a résulté a eu des conséquences désastreuses et inhumaines ...
Je suis frappé et attristé par le décompte quotidien des morts en Palestine, des dizaines, voire parfois des centaines par jour, dont beaucoup d'enfants dont la seule «faute» semble être d'être nés là-bas: nous risquons de nous habituer à ce carnage! Des personnes tuées alors qu'elles tentaient d'obtenir un morceau de pain, des personnes ensevelies sous les décombres de leurs maisons, des personnes bombardées dans des hôpitaux, dans des camps de tentes, des personnes déplacées contraintes d’aller d'un bout à l'autre de ce territoire exigu et surpeuplé ... Il est inacceptable et injustifiable de réduire des êtres humains à de simples «victimes collatérales».
Comment pouvons-nous juger les incidents antisémites qui ont considérablement augmenté dans différentes parties du monde ces derniers mois?
C'est une conséquence triste et tout aussi injustifiée: nous vivons dans un monde de fausses informations, de simplification de la réalité. Et cela conduit ceux qui se nourrissent de ces informations à attribuer aux Juifs en tant que tels, la responsabilité de ce qui se passe aujourd'hui à Gaza. Nous savons que ce n'est pas le cas: il y a aussi de nombreuses voix de forte dissidence qui s'élèvent dans le monde juif contre la manière dont le gouvernement israélien actuel a agi et agit à Gaza et dans le reste de la Palestine où, ne l'oublions pas, l'expansionnisme souvent violent des colons vise à rendre impossible la naissance d'un Etat palestinien.
Nous voyons le témoignage public des familles d’otages. L'antisémitisme est un cancer qu'il faut combattre et éradiquer: nous avons besoin d'hommes et de femmes de bonne volonté, d'éducateurs qui aident à comprendre et surtout à distinguer ... Nous ne pouvons pas oublier ce qui s'est passé au cœur de l'Europe avec la Shoah, nous devons nous engager de toutes nos forces pour que ce mal ne refasse pas surface.
Nous devons en même temps veiller à ce que les actes d'inhumanité et de violation du droit humanitaire ne soient jamais justifiés: aucun Juif ne doit être attaqué ou discriminé en tant que Juif, aucun Palestinien ne doit être attaqué ou discriminé en raison de son identité parce qu'il est, comme on l'entend malheureusement dire, «un terroriste potentiel». La chaîne perverse de la haine est vouée à générer une spirale qui ne peut rien apporter de bon. Il est regrettable de constater que l'on ne parvient pas à tirer les leçons de l'histoire, même récente, qui reste une source d'enseignements pour la vie.
Vous avez évoqué une situation intenable et fait allusion aux nombreux intérêts en jeu qui empêchent la fin de la guerre. Quels sont ces intérêts?
Il semble évident que la guerre menée par l'armée israélienne pour vaincre les miliciens du Hamas ne tient pas compte du fait qu'elle a en face d'elle une population pour la plupart sans défense et à bout de forces, dans une zone parsemée de maisons et d'immeubles rasés: il suffit de voir les images aériennes pour se rendre compte de ce qu'est Gaza aujourd'hui. Il me semble tout aussi évident que la communauté internationale est malheureusement impuissante et que les pays qui ont jusqu'à présent une réelle influence n'ont pas agi pour mettre fin au carnage en cours. Je ne peux que répéter les paroles très claires prononcées à ce sujet le 20 juillet dernier par le Pape Léon XIV: «J'appelle la communauté internationale à respecter le droit humanitaire et l'obligation de protéger les civils, ainsi que l'interdiction des punitions collectives, de l'usage indiscriminé de la force et du déplacement forcé de la population». Des paroles qui attendent encore d'être entendues et comprises.
Que peut donc faire la communauté internationale?
Elle peut certainement faire beaucoup plus que ce qu'elle fait actuellement. Il ne suffit pas de dire que ce qui se passe est inacceptable et de continuer à laisser faire. Il faut se poser des questions sérieuses sur la légalité, par exemple, de continuer à fournir des armes qui sont utilisées au détriment de la population civile. Malheureusement, comme nous l'avons vu, les Nations unies n'ont pas été en mesure jusqu'à présent de mettre fin à ce qui se passe. Mais il existe des acteurs internationaux qui seraient en mesure d'exercer une plus grande influence pour mettre fin à cette tragédie, et il faut trouver un moyen de donner aux Nations Unies un rôle plus efficace pour mettre fin aux nombreuses guerres fratricides qui sévissent dans le monde.
Que pensez-vous du plan présenté par le président Donald Trump pour parvenir à un cessez-le-feu et à la fin de la guerre?
Tout plan qui implique le peuple palestinien dans les décisions concernant son avenir et qui permette de mettre fin à ce massacre, de libérer les otages et d'arrêter de tuer chaque jour des centaines de personnes doit être accueilli et soutenu. Le Saint-Père a également exprimé le souhait que les parties acceptent ce plan et que l'on puisse enfin s'engager sur la voie de la paix.

Comment juger les prises de position des sociétés civiles qui s'expriment, y compris en Israël, contre les politiques guerrières du gouvernement israélien et en faveur de la paix?
Même si parfois ces initiatives, en raison des violences de quelques fauteurs de troubles, risquent de faire passer un message erroné dans les médias, je suis positivement impressionné par la participation aux manifestations et l'engagement de nombreux jeunes. C'est le signe que nous ne sommes pas condamnés à l'indifférence. Nous devons prendre au sérieux ce désir de paix, ce désir d'engagement... Il en va de notre avenir, il en va de l'avenir de notre monde.
Certains soutiennent, même au sein de l'Eglise, que face à tout cela, il faut avant tout prier, ne pas descendre dans la rue pour ne pas faire le jeu des violents ...
Je suis baptisé, je suis croyant, je suis prêtre: pour moi, la prière incessante devant Dieu afin qu'il nous assiste, nous aide et intervienne pour mettre fin à tout cela en soutenant les efforts des femmes et des hommes de bonne volonté est essentielle, quotidienne, fondamentale. Le Pape Léon XIV nous a invité une fois de plus à réciter un chapelet pour la paix le 11 octobre. Mais je voudrais aussi rappeler que la foi chrétienne est incarnée ou n'est pas... Nous sommes les disciples d'un Dieu qui s'est fait homme en assumant notre humanité et qui nous a montré que nous ne pouvons pas être indifférents à ce qui se passe autour de nous et même loin de nous. C'est pourquoi la prière ne sera jamais suffisante, mais l'engagement concret, la mobilisation des consciences, les initiatives de paix, la sensibilisation ne seront jamais suffisants non plus, même au prix de paraître «hors du monde», même au prix de prendre des risques: il existe une majorité silencieuse – composée également de nombreux jeunes – qui ne se résigne pas à cette inhumanité. Eux aussi sont appelés à prier. Je trouve profondément erroné de penser que notre rôle, en tant que chrétiens, est de nous enfermer dans les sacristies. La prière appelle aussi à un engagement, à un témoignage, à des choix concrets.
Le Pape Léon XIV ne se lasse pas de demander la paix. Que peut faire le Saint-Siège dans cette situation? Quelle peut être sa contribution et celle de toute l'Eglise?
Le Saint-Siège, parfois incompris, continue de demander la paix, d'inviter au dialogue, d'utiliser les mots «négociation» et «pourparlers», et il le fait sur la base d'un réalisme profond: l'alternative à la diplomatie est la guerre perpétuelle, c'est l'abîme de la haine et de l'autodestruction du monde. Nous devons crier haut et fort: arrêtons-nous avant qu'il ne soit trop tard. Et nous devons agir, faire tout notre possible pour qu'il ne soit pas trop tard. Tout notre possible.
Pourquoi la reconnaissance de l'Etat de Palestine est-elle importante à ce stade?
Le Saint-Siège a officiellement reconnu l'Etat de Palestine il y a dix ans, avec l'Accord global entre le Saint-Siège et l'Etat de Palestine. Le préambule de cet accord international soutient pleinement une résolution juste, globale et pacifique de la question palestinienne, dans tous ses aspects, conformément au droit international et à toutes les résolutions pertinentes de l'ONU. Dans le même temps, il soutient un Etat palestinien indépendant, souverain, démocratique et viable, incluant la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza. Le même accord identifie cet Etat non pas en opposition à d'autres, mais capable de coexister avec ses voisins, dans la paix et la sécurité.
Nous nous réjouissons que plusieurs pays à travers le monde aient reconnu l'Etat de Palestine. Mais nous ne pouvons manquer de remarquer avec inquiétude que les déclarations et les décisions israéliennes vont dans une direction opposée, à savoir qu'elles visent à empêcher à jamais la naissance d'un véritable Etat palestinien. Cette solution – la naissance d'un Etat palestinien – me semble encore plus valable après ce qui s'est passé ces deux dernières années. C'est la voie, celle de «deux peuples dans deux Etats», que le Saint-Siège a suivie depuis le début. Le sort des deux peuples et des deux Etats est étroitement lié.
Comment se porte la communauté chrétienne sur le terrain après la violente attaque contre la paroisse de la Sainte-Famille, et pourquoi son rôle dans le contexte moyen-oriental est-il important?
Les chrétiens de Gaza, comme nous l'avons vu, ont eux aussi été attaqués... Je suis ému quand je pense à ces personnes déterminées à rester, qui prient chaque jour pour la paix et pour les victimes. La situation est de plus en plus précaire. Nous essayons d'être à leurs côtés de toutes les manières possibles, grâce aux activités du Patriarcat latin de Jérusalem et de Caritas. Nous remercions les gouvernements et toutes les institutions qui s'engagent à acheminer l'aide et à permettre aux blessés graves d'être secourus. Le rôle des chrétiens au Moyen-Orient a été et reste fondamental, même si leur nombre diminue. Je tiens à rappeler qu'ils participent pleinement aux événements qui touchent leur peuple palestinien martyrisé, dont ils partagent les souffrances.
Source: https://www.vaticannews.va/fr/vatican/news/2025-10/cardinal-parolin-7-octobre-gaza.html, 7 octobre 2025