AELE

Au pays des Maharajahs, ce Lilliput est Goliath

par Christian Campiche,* Lausanne

(22 mars 2024) Gageons que les médias, service public excepté, n’en feront pas leurs gros titres. Ce serait injuste car l’accord annoncé avec l’Inde constitue enfin une bonne nouvelle pour l’économie suisse. Il aura fallu pas moins de 16 ans de tenaces négociations pour que le travail de fourmi réalisé par les fonctionnaires suisses de l’Association européenne de libre-échange, l’AELE, porte ses fruits. «Un jalon important pour la politique commerciale de notre pays», commente le Département fédéral de l’économie.

Christian Campiche.
(Photo www.
infomeduse.ch)

Le fief de Guy Parmelin ne balance pas des cocoricos pour la galerie. Sa satisfaction est sincère. Elle a surtout le mérite du réalisme à l’heure où la Suisse s’interroge sur ses relations avec son grand voisin européen. Celles-ci ressemblent à une partie de colin-maillard ou de «je te tiens, tu me tiens, par la barbichette» depuis un fameux «dimanche noir» de 1992.

Le refus par la Suisse alémanique de l’Espace économique européen a anéanti les rêves d’un rapprochement avec Bruxelles. Sans cesse relancés, les accords bilatéraux font du surplace. Le prochain round se jouera avant Pâques. «La dernière bataille d’Ignazio Cassis», titre le Blick. Ce quotidien affiche un optimisme de façade, pourtant rien ne dit que le ministre des Affaires étrangères la remportera. On peut compter sur l’UDC et les syndicats, réunis en une sainte alliance pour l’occasion, pour contrecarrer ses belles ambitions.

Le parchemin cumulant les paraphes des ministres de l’AELE et de l’Inde devrait pourtant relativiser ses angoisses et celles des députés de la droite et de la gauche libérales aux yeux plus gros que le ventre. Cette mouvance se montre déchaînée dans le dossier des bilatérales, qu’elle aimerait voir aboutir à tout prix. Avec elle, certains esprits chagrins objecteront sans doute que l’AELE est un pis-aller, l’ombre d’une organisation qui, après avoir réuni la crème des nations du vieux continent, se voit réduite à quatre membres, la Suisse, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein.

Ce faisant ils auraient tort. Avec trois fois plus d’habitants que l’Union européenne, l’Inde est l’Etat le plus peuplé au monde. Une grande partie de sa population vit certes dans des conditions de sous-pauvreté mais l’Inde n’en affiche pas moins un tempérament de locomotive. Avec un croissance du PIB de 7%, elle s’affirme comme un candidat sérieux à la place de troisième puissance économique mondiale derrière les Etats-Unis et la Chine.

«La Suisse et les autres Etats de l’AELE sont les premiers partenaires européens à mettre sous toit un accord de libre-échange avec l’Inde.» Cette petite phrase du communiqué en dit long sur le succès obtenu par les négociateurs suisses. Un résultat qui met de l’huile dans les rouages des constructeurs de machines helvétiques, fortement éprouvés ces derniers mois par la récession en Allemagne. De fait, la baisse, voire la suppression des droits de douane valorise le «Swisstech» face à la concurrence des géants chinois et occidentaux.

Lilliput parvenant à damer le pion à Goliath: au pays des Maharajahs, la performance méritait d’être mentionnée.

* Christian Campiche, né en 1948, est un écrivain, journaliste et musicien suisse. Il est le fondateur, directeur et rédacteur en chef de l’infoméduse, journal d'information et de réflexion suisse en ligne. Christian Campiche est auteur de plusieurs essais et romans historiques. Il est ancien président d'impressum, plus grande organisation de journalistes de Suisse et est engagé dans la défense professionnelle et éthique des journalistes.

Source: https://www.infomeduse.ch/2024/03/10/au-pays-des-maharadjahs-ce-lilliput-est-goliath/, 10 mars 2024

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